La reine Margot - Tome I | Page 2

Alexandre Dumas
le cerveau,
seule partie du corps exclue de l’autopsie, qui devait offrir les traces du
crime. Nous disons crime, car personne ne doutait qu’un crime n’eût
été commis.
Ce n’était pas tout: le roi Charles, particulièrement, avait mis à ce
mariage, qui non seulement rétablissait la paix dans son royaume, mais
encore attirait à Paris les principaux huguenots de France, une
persistance qui ressemblait à de l’entêtement. Comme les deux fiancés
appartenaient, l’un à la religion catholique, l’autre à la religion
réformée, on avait été obligé de s’adresser pour la dispense à Grégoire
XIII, qui tenait alors le siège de Rome. La dispense tardait, et ce retard
inquiétait fort la feue reine de Navarre; elle avait un jour exprimé à
Charles IX ses craintes que cette dispense n’arrivât point, ce à quoi le
roi avait répondu:
-- N’ayez souci, ma bonne tante, je vous honore plus que le pape, et
aime plus ma soeur que je ne le crains. Je ne suis pas huguenot, mais je
ne suis pas sot non plus, et si monsieur le pape fait trop la bête, je
prendrai moi-même Margot par la main, et je la mènerai épouser votre
fils en plein prêche.
Ces paroles s’étaient répandues du Louvre dans la ville, et, tout en

réjouissant fort les huguenots, avaient considérablement donné à penser
aux catholiques, qui se demandaient tout bas si le roi les trahissait
réellement, ou bien ne jouait pas quelque comédie qui aurait un beau
matin ou un beau soir son dénouement inattendu.
C’était vis-à-vis de l’amiral de Coligny surtout, qui depuis cinq ou six
ans faisait une guerre acharnée au roi, que la conduite de Charles IX
paraissait inexplicable: après avoir mis sa tête à prix à cent cinquante
mille écus d’or, le roi ne jurait plus que par lui, l’appelant son père et
déclarant tout haut qu’il allait confier désormais à lui seul la conduite
de la guerre; c’est au point que Catherine de Médicis, elle-même, qui
jusqu’alors avait réglé les actions, les volontés et jusqu’aux désirs du
jeune prince, paraissait commencer à s’inquiéter tout de bon, et ce
n’était pas sans sujet, car, dans un moment d’épanchement Charles IX
avait dit à l’amiral à propos de la guerre de Flandre:
-- Mon père, il y a encore une chose en ceci à laquelle il faut bien
prendre garde: c’est que la reine mère, qui veut mettre le nez partout
comme vous savez, ne connaisse rien de cette entreprise; que nous la
tenions si secrète qu’elle n’y voie goutte, car, brouillonne comme je la
connais, elle nous gâterait tout.
Or, tout sage et expérimenté qu’il était, Coligny n’avait pu tenir secrète
une si entière confiance; et quoiqu’il fût arrivé à Paris avec de grands
soupçons, quoique à son départ de Châtillon une paysanne se fût jetée à
ses pieds, en criant: «Oh! monsieur, notre bon maître, n’allez pas à
Paris, car si vous y allez vous mourrez, vous et tous ceux qui iront avec
vous»; ces soupçons s’étaient peu à peu éteints dans son coeur et dans
celui de Téligny, son gendre, auquel le roi de son côté faisait de
grandes amitiés, l’appelant son frère comme il appelait l’amiral son
père, et le tutoyant, ainsi qu’il faisait pour ses meilleurs amis.
Les huguenots, à part quelques esprits chagrins et défiants, étaient donc
entièrement rassurés: la mort de la reine de Navarre passait pour avoir
été causée par une pleurésie, et les vastes salles du Louvre s’étaient
emplies de tous ces braves protestants auxquels le mariage de leur
jeune chef Henri promettait un retour de fortune bien inespéré. L’amiral
de Coligny, La Rochefoucault, le prince de Condé fils, Téligny, enfin
tous les principaux du parti, triomphaient de voir tout-puissants au
Louvre et si bien venus à Paris ceux-là mêmes que trois mois
auparavant le roi Charles et la reine Catherine voulaient faire pendre à

des potences plus hautes que celles des assassins. Il n’y avait que le
maréchal de Montmorency que l’on cherchait vainement parmi tous ses
frères, car aucune promesse n’avait pu le séduire, aucun semblant
n’avait pu le tromper, et il restait retiré en son château de l’Isle-Adam,
donnant pour excuse de sa retraite la douleur que lui causait encore la
mort de son père le connétable Anne de Montmorency, tué d’un coup
de pistolet par Robert Stuart, à la bataille de Saint-Denis. Mais comme
cet événement était arrivé depuis plus de trois ans et que la sensibilité
était une vertu assez peu à la mode à cette époque, on n’avait cru de ce
deuil prolongé outre mesure que ce qu’on avait bien voulu en croire.
Au reste, tout donnait tort au maréchal de Montmorency; le roi, la reine,
le duc d’Anjou et le duc d’Alençon faisaient à merveille les honneurs
de la royale fête.
Le duc d’Anjou recevait des huguenots
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