que, quand monsieur de Randan fut revenu, et qu'il
rendit compte au roi de son voyage, il lui dit qu'il n'y avait rien que
monsieur de Nemours ne pût prétendre auprès de cette princesse, et
qu'il ne doutait point qu'elle ne fût capable de l'épouser. Le roi en parla
à ce prince dès le soir même; il lui fit conter par monsieur de Randan
toutes ses conversations avec Élisabeth, et lui conseilla de tenter cette
grande fortune. Monsieur de Nemours crut d'abord que le roi ne lui
parlait pas sérieusement; mais comme il vit le contraire:
--Au moins, Sire, lui dit-il, si je m'embarque dans une entreprise
chimérique, par le conseil et pour le service de Votre Majesté, je la
supplie de me garder le secret, jusqu'à ce que le succès me justifie vers
le public, et de vouloir bien ne me pas faire paraître rempli d'une assez
grande vanité, pour prétendre qu'une reine, qui ne m'a jamais vu, me
veuille épouser par amour.
Le roi lui promit de ne parler qu'au connétable de ce dessein, et il jugea
même le secret nécessaire pour le succès. Monsieur de Randan
conseillait à monsieur de Nemours d'aller en Angleterre sur le simple
prétexte de voyager; mais ce prince ne put s'y résoudre. Il envoya
Lignerolles qui était un jeune homme d'esprit, son favori, pour voir les
sentiments de la reine, et pour tâcher de commencer quelque liaison. En
attendant l'événement de ce voyage, il alla voir le duc de Savoie, qui
était alors à Bruxelles avec le roi d'Espagne. La mort de Marie
d'Angleterre apporta de grands obstacles à la paix; l'assemblée se
rompit à la fin de novembre, et le roi revint à Paris.
Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde,
et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de
l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles
personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et
une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et
l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont
le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu
son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour.
Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa
fille; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa
beauté; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre
aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler
jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner.
Madame de Chartres avait une opinion opposée; elle faisait souvent à
sa fille des peintures de l'amour; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable
pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de
dangereux; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les
engagements; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité
suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat
et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance.
Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver
cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même, et par un grand
soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui
est d'aimer son mari et d'en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France; et
quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé
plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement
glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille; la voyant dans sa
seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le
vidame alla au-devant d'elle; il fut surpris de la grande beauté de
mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur
de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a
jamais vu qu'à elle; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa
personne étaient pleins de grâce et de charmes.
Le lendemain qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries
chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était
venu de Florence avec la reine, et s'était tellement enrichi dans son
trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d'un grand seigneur que d'un
marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut
tellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise; et
mademoiselle de Chartres ne put s'empêcher de rougir en voyant
l'étonnement qu'elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sans
témoigner d'autre attention
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