La princess de Clèves | Page 3

Madame de Lafayette
La cour était partagée entre messieurs de Guise et le
connétable, qui était soutenu des princes du sang. L'un et l'autre parti
avait toujours songé à gagner la duchesse de Valentinois. Le duc
d'Aumale, frère du duc de Guise, avait épousé une de ses filles; le
connétable aspirait à la même alliance. Il ne se contentait pas d'avoir
marié son fils aîné avec madame Diane, fille du roi et d'une dame de
Piémont, qui se fit religieuse aussitôt qu'elle fut accouchée. Ce mariage
avait eu beaucoup d'obstacles, par les promesses que monsieur de
Montmorency avait faites à mademoiselle de Piennes, une des filles
d'honneur de la reine; et bien que le roi les eût surmontés avec une

patience et une bonté extrême, ce connétable ne se trouvait pas encore
assez appuyé, s'il ne s'assurait de madame de Valentinois, et s'il ne la
séparait de messieurs de Guise, dont la grandeur commençait à donner
de l'inquiétude à cette duchesse. Elle avait retardé, autant qu'elle avait
pu, le mariage du dauphin avec la reine d'Écosse: la beauté et l'esprit
capable et avancé de cette jeune reine, et l'élévation que ce mariage
donnait à messieurs de Guise, lui étaient insupportables. Elle haïssait
particulièrement le cardinal de Lorraine; il lui avait parlé avec aigreur,
et même avec mépris. Elle voyait qu'il prenait des liaisons avec la reine;
de sorte que le connétable la trouva disposée à s'unir avec lui, et à
entrer dans son alliance, par le mariage de mademoiselle de La Marck,
sa petite fille, avec monsieur d'Anville, son second fils, qui succéda
depuis à sa charge sous le règne de Charles IX. Le connétable ne crut
pas trouver d'obstacles dans l'esprit de monsieur d'Anville pour un
mariage, comme il en avait trouvé dans l'esprit de monsieur de
Montmorency; mais, quoique les raisons lui en fussent cachées, les
difficultés n'en furent guère moindres. Monsieur d'Anville était
éperdument amoureux de la reine dauphine, et, quelque peu d'espérance
qu'il eût dans cette passion, il ne pouvait se résoudre à prendre un
engagement qui partagerait ses soins. Le maréchal de Saint-André était
le seul dans la cour qui n'eût point pris de parti. Il était un des favoris,
et sa faveur ne tenait qu'à sa personne: le roi l'avait aimé dès le temps
qu'il était dauphin; et depuis, il l'avait fait maréchal de France, dans un
âge où l'on n'a pas encore accoutumé de prétendre aux moindres
dignités. Sa faveur lui donnait un éclat qu'il soutenait par son mérite et
par l'agrément de sa personne, par une grande délicatesse pour sa table
et pour ses meubles, et par la plus grande magnificence qu'on eût
jamais vue en un particulier. La libéralité du roi fournissait à cette
dépense; ce prince allait jusqu'à la prodigalité pour ceux qu'il aimait; il
n'avait pas toutes les grandes qualités, mais il en avait plusieurs, et
surtout celle d'aimer la guerre et de l'entendre; aussi avait-il eu
d'heureux succès et si on en excepte la bataille de Saint-Quentin, son
règne n'avait été qu'une suite de victoires. Il avait gagné en personne la
bataille de Renty; le Piémont avait été conquis; les Anglais avaient été
chassés de France, et l'empereur Charles-Quint avait vu finir sa bonne
fortune devant la ville de Metz, qu'il avait assiégée inutilement avec
toutes les forces de l'Empire et de l'Espagne. Néanmoins, comme le

malheur de Saint-Quentin avait diminué l'espérance de nos conquêtes,
et que, depuis, la fortune avait semblé se partager entre les deux rois, ils
se trouvèrent insensiblement disposés à la paix.
La duchesse douairière de Lorraine avait commencé à en faire des
propositions dans le temps du mariage de monsieur le dauphin; il y
avait toujours eu depuis quelque négociation secrète. Enfin, Cercamp,
dans le pays d'Artois, fut choisi pour le lieu où l'on devait s'assembler.
Le cardinal de Lorraine, le connétable de Montmorency et le maréchal
de Saint-André s'y trouvèrent pour le roi; le duc d'Albe et le prince
d'Orange, pour Philippe II; et le duc et la duchesse de Lorraine furent
les médiateurs. Les principaux articles étaient le mariage de madame
Élisabeth de France avec Don Carlos, infant d'Espagne, et celui de
Madame soeur du roi, avec monsieur de Savoie.
Le roi demeura cependant sur la frontière, et il y reçut la nouvelle de la
mort de Marie, reine d'Angleterre. Il envoya le comte de Randan à
Élisabeth, pour la complimenter sur son avènement à la couronne; elle
le reçut avec joie. Ses droits étaient si mal établis, qu'il lui était
avantageux de se voir reconnue par le roi. Ce comte la trouva instruite
des intérêts de la cour de France, et du mérite de ceux qui la
composaient; mais surtout il la trouva si remplie de la réputation du duc
de Nemours, elle lui parla tant de fois de ce prince, et avec tant
d'empressement,
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