aux actions de ce prince que celle que la
civilité lui devait donner pour un homme tel qu'il paraissait. Monsieur
de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui
était cette belle personne qu'il ne connaissait point. Il voyait bien par
son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu'elle devait être d'une grande
qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c'était une fille; mais ne lui
voyant point de mère, et l'Italien qui ne la connaissait point l'appelant
madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec
étonnement. Il s'aperçut que ses regards l'embarrassaient, contre
l'ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l'effet
de leur beauté; il lui parut même qu'il était cause qu'elle avait de
l'impatience de s'en aller, et en effet elle sortit assez promptement.
Monsieur de Clèves se consola de la perdre de vue, dans l'espérance de
savoir qui elle était; mais il fut bien surpris quand il sut qu'on ne la
connaissait point. Il demeura si touché de sa beauté, et de l'air modeste
qu'il avait remarqué dans ses actions, qu'on peut dire qu'il conçut pour
elle dès ce moment une passion et une estime extraordinaires. Il alla le
soir chez Madame, soeur du roi.
Cette princesse était dans une grande considération, par le crédit qu'elle
avait sur le roi, son frère; et ce crédit était si grand, que le roi, en faisant
la paix, consentait à rendre le Piémont, pour lui faire épouser le duc de
Savoie. Quoiqu'elle eût désiré toute sa vie de se marier, elle n'avait
jamais voulu épouser qu'un souverain, et elle avait refusé pour cette
raison le roi de Navarre lorsqu'il était duc de Vendôme, et avait
toujours souhaité monsieur de Savoie; elle avait conservé de
l'inclination pour lui depuis qu'elle l'avait vu à Nice, à l'entrevue du roi
François premier et du pape Paul troisième. Comme elle avait
beaucoup d'esprit, et un grand discernement pour les belles choses, elle
attirait tous les honnêtes gens, et il y avait de certaines heures où toute
la cour était chez elle.
Monsieur de Clèves y vint à son ordinaire; il était si rempli de l'esprit et
de la beauté de mademoiselle de Chartres, qu'il ne pouvait parler d'autre
chose. Il conta tout haut son aventure, et ne pouvait se lasser de donner
des louanges à cette personne qu'il avait vue, qu'il ne connaissait point.
Madame lui dit qu'il n'y avait point de personne comme celle qu'il
dépeignait, et que s'il y en avait quelqu'une, elle serait connue de tout le
monde. Madame de Dampierre, qui était sa dame d'honneur et amie de
madame de Chartres, entendant cette conversation, s'approcha de cette
princesse, et lui dit tout bas que c'était sans doute mademoiselle de
Chartres que monsieur de Clèves avait vue. Madame se retourna vers
lui, et lui dit que s'il voulait revenir chez elle le lendemain, elle lui
ferait voir cette beauté dont il était si touché. Mademoiselle de Chartres
parut en effet le jour suivant; elle fut reçue des reines avec tous les
agréments qu'on peut s'imaginer, et avec une telle admiration de tout le
monde, qu'elle n'entendait autour d'elle que des louanges. Elle les
recevait avec une modestie si noble, qu'il ne semblait pas qu'elle les
entendît, ou du moins qu'elle en fût touchée. Elle alla ensuite chez
Madame, soeur du roi. Cette princesse, après avoir loué sa beauté, lui
conta l'étonnement qu'elle avait donné à monsieur de Clèves. Ce prince
entra un moment après.
--Venez, lui dit-elle, voyez si je ne vous tiens pas ma parole, et si en
vous montrant mademoiselle de Chartres, je ne vous fais pas voir cette
beauté que vous cherchiez; remerciez-moi au moins de lui avoir appris
l'admiration que vous aviez déjà pour elle.
Monsieur de Clèves sentit de la joie de voir que cette personne qu'il
avait trouvée si aimable était d'une qualité proportionnée à sa beauté; il
s'approcha d'elle, et il la supplia de se souvenir qu'il avait été le premier
à l'admirer, et que, sans la connaître, il avait eu pour elle tous les
sentiments de respect et d'estime qui lui étaient dus.
Le chevalier de Guise et lui, qui étaient amis, sortirent ensemble de
chez Madame. Ils louèrent d'abord mademoiselle de Chartres sans se
contraindre. Ils trouvèrent enfin qu'ils la louaient trop, et ils cessèrent
l'un et l'autre de dire ce qu'ils en pensaient; mais ils furent contraints
d'en parler les jours suivants, partout où ils se rencontrèrent. Cette
nouvelle beauté fut longtemps le sujet de toutes les conversations. La
reine lui donna de grandes louanges, et eut pour elle une considération
extraordinaire; la reine dauphine en fit une de ses favorites, et pria
madame de Chartres de la mener souvent chez elle. Mesdames, filles du
roi, l'envoyaient chercher pour être
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