La petite Jeanne | Page 8

Zulma Carraud
le jupon en droguet bleu; c'est fort solide, et le corsage en bonne cotonnade doublée.
--Moi, dit Sophie, la soeur d'Isaure, qui avait quatorze ans, je donnerai une jupe de dessous en flanelle rayée blanc et noir, et un corset de nankin.
--Et moi, que donnerai-je donc? dit Auguste.
--Mon frère, tu as une cravate noire qui est tranchée au milieu, dont les bouts sont tout neufs; ma bonne en fera un bonnet à Jeanne, et tu achèteras de la dentelle noire pour le garnir.
--Il ne me reste plus à donner que la chemise, le fichu et le tablier,? dit en souriant Mme Dumont.
Quand ils furent arrivés à la maison, les enfants racontèrent à leur père ce qu'ils voulaient faire pour Jeanne.
?Tout cela est très-bien, dit M. Dumont; mais je vois que personne n'a pensé aux souliers. Vous habillez complètement cette petite, et vous la laissez nu-pieds!
--C'est pourtant vrai! dirent les enfants. Papa, il faut que vous donniez les souliers, pour que rien ne lui manque.?
On s'occupa le jour même d'acheter et de couper les vêtements de la petite Jeanne, afin de pouvoir les lui donner le vendredi suivant; il n'y avait plus que quatre jours, il ne fallait pas perdre de temps. Isaure fit les ourlets, pendant que sa mère, sa soeur et la bonne faisaient les coutures. Quand tout fut fini, la bonne dit:
?Mesdemoiselles, vous croyez avoir pensé à tout; il me restera pourtant quelque chose à donner aussi, et, quoique je ne sois pas riche, je veux prendre part à la bonne action que vous faites. Vous avez oublié le mouchoir et le serre-tête! j'en donnerai des miens.?
Isaure habille la petite Jeanne.
Le vendredi, Isaure s'éveilla plus t?t qu'à l'ordinaire; le coeur lui battait bien fort en pensant au plaisir qu'elle allait faire à la petite Jeanne. Longtemps avant le déjeuner, elle était à la grille, que son frère lui avait ouverte, et à chaque instant elle allait sur le chemin pour voir si Jeanne arrivait. Enfin, elle parut au bout de l'avenue: Isaure alla au-devant d'elle et la prit par la main; elle l'amena toujours courant dans le jardin, puis dans la maison, puis dans sa chambre. Quand elles y furent entrées, Sophie et la bonne déshabillèrent l'enfant et lui mirent sa chemise neuve et le reste de ses habits. On la coiffa; mais, quand il fallut lui mettre ses souliers, on s'aper?ut qu'il manquait des bas.
?C'est un petit malheur, dit la bonne; mesdemoiselles, il faudra lui en tricoter; comme il fait grand chaud, elle s'en passera bien d'ici à ce que vous lui en ayez fait. D'ailleurs, je crois bien que la pauvre petite n'en porte pas souvent.
--Oui! oui! dit Isaure, je vais commencer dès demain à lui en faire une paire; le voulez-vous, dites, maman? ajouta-t-elle en s'adressant à Mme Dumont, qui venait d'entrer dans la chambre.
--Certainement, mon enfant; si tu emploies bien ton temps, tu les auras finis dans quinze jours.?
La petite Jeanne remercia ces dames de tout son coeur. Isaure la ramena sous le berceau pour la faire voir à son père et à Auguste; on la fit déjeuner, et, après avoir mis la pièce de cinquante centimes dans la poche de son tablier neuf, on fit un paquet de ses vieux habits. Elle le prit et s'en alla.
Jeanne ne resta pas longtemps en chemin, tant elle était pressée de faire voir ses beaux habits. La mère Nannette et Catherine travaillaient à la porte de la maison.
?Regardez donc, mère Nannette, dit la veuve, ne dirait-on pas que c'est Jeanne qui court là-bas? Je le croirais presque, si cette petite fille n'était pas si bien habillée.
--Et vous n'auriez pas tort, répondit la mère Nannette après avoir regardé un moment avec attention; c'est bien elle qui vient à nous toujours courant. Elle est si belle qu'on la prendrait pour la fille de ma?tre Tixier, le fermier du Grand-Bail.?
Quand Jeanne fut à portée de se faire entendre, elle cria:
?Maman! mère Nannette!
--Oh! mon Dieu! ma fille! où as-tu donc pris ces beaux habits-là?
--Ce sont les dames Dumont qui les ont faits exprès pour moi, parce que Mlle Isaure a eu du chagrin de me voir au lit le jour que vous avez lavé ma robe; elles m'ont dit qu'il fallait mettre mes habits neufs le dimanche pour aller à la messe, et quand vous nettoieriez les vieux.
--Et tu les mettras aussi le vendredi pour aller chez ces dames, ma fille.?
Catherine laissa la petite Jeanne dans sa toilette jusqu'au soir, en lui recommandant bien de ne pas se salir, et l'enfant s'occupa tout de suite de donner à manger aux canards, qui venaient très-bien.
Jeanne s'avise de faire des bouquets pour les vendre.
La veille du marché, Jeanne, tout en gardant ses oisons, remarqua de belles fleurs dans la haie du grand pré et au bord du ruisseau qui traversait le bois. Elle
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 67
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.