eut l'idée d'en faire des bouquets; elle les entremêla avec les épis de toutes sortes d'herbes des prés, et quand ils furent faits, elle les posa pour la nuit sur une grosse touffe de gazon; puis elle vint demander à la mère Nannette si elle voulait bien l'emmener en ville avec elle pour vendre ses bouquets. La mère Nannette dit que oui, et le lendemain Catherine mit à Jeanne ses beaux habits. L'enfant trouva ses fleurs aussi fra?ches que si elle venait de les cueillir.
Aussit?t que la mère Nannette fut arrivée sur la place, tout le monde lui demanda où elle avait pris cette jolie petite fille.
?C'est une pauvre enfant qui demande son pain, répondit-elle.
--Elle est bien belle, pour demander l'aum?ne!
--C'est que des dames charitables ont eu pitié d'elle et l'ont habillée comme ?a.?
En regardant la petite Jeanne, on regardait ses bouquets et on les lui marchandait.
?Payez-les-moi ce que vous voudrez; c'est pour maman qui est malade.?
On lui en donnait dix centimes; quelques dames qui étaient venues au marché les lui payèrent quinze ou vingt, tant elles la trouvaient jolie et modeste. Elle vendit tous ses bouquets, et rapporta un franc à sa mère. Depuis elle ne manqua pas, quand il faisait beau, de faire des bouquets pour aller les vendre. On ne les lui payait pas toujours aussi cher; mais elle aimait mieux cela que d'aller aux portes.
La petite Jeanne apprend à tricoter.
Le vendredi suivant, Jeanne alla comme à l'ordinaire chercher les cinquante centimes chez Mme Dumont. Sophie lui fit voir les bas qu'elle lui tricotait et qui étaient presque finis.
?Moi, je ne suis pas aussi avancée, dit Isaure; je n'en suis encore qu'au premier bas: c'est que je ne travaille pas aussi vite que ma soeur, parce que je suis plus petite qu'elle.
--Que je voudrais donc bien en faire autant! dit Jeanne.
--Veux-tu que je t'apprenne à tricoter?
--Je le veux bien, mademoiselle.
--Eh bien, dit Mme Dumont, tu viendras tous les lundis, les mercredis et les vendredis à deux heures.
--Oui, madame: ces jours-là je ne fais point de tournée, parce que maman dit qu'il ne faut pas ennuyer les gens qui nous assistent. Elle ne peut presque plus marcher, car ses jambes sont enflées, et je vais demander toute seule.
--Et comment fais-tu pour avoir un peu de bois? car il faut du feu pour faire de la soupe?
--La mère Nannette nous laisse mettre notre pot devant son feu; elle est si bonne!?
Jeanne ne manqua pas de venir apprendre à tricoter, et Isaure lui commen?a une jarretière; rien n'était plus charmant à voir que ces deux petites têtes si près l'une de l'autre et ces petites mains entrelacées. Jeanne était assise sur un tabouret; Isaure, à genoux derrière elle, tenait une des mains de son écolière dans chacune des siennes, pour lui apprendre à se servir de ses aiguilles; elle passait sa tête par-dessus l'épaule de Jeanne, afin de voir comment elle s'y prenait.
Mme Dumont interroge la petite Jeanne.
?As-tu les mains propres? lui demanda Mme Dumont.
--Oui, madame, je me les suis frottées dans le son que la mère Nannette a mis bouillir pour ses oisons. Maman se sert d'un petit bout de bois bien pointu pour nettoyer mes ongles.
--Elle est donc bien propre, ta maman?
--Oui, madame; tous les matins elle peigne ses cheveux dans l'étable, et les miens aussi; et quand elle allait chercher son pain avec moi, nous nous arrêtions toujours au bord du ruisseau pour nous laver les pieds.
--Fais-tu habituellement ta prière, petite Jeanne?
--Oui, madame, je la fais tous les soirs et tous les matins. Quand le temps est beau, nous la faisons dehors, et, quand nous passons devant l'église, nous entrons toujours pour prier l'enfant Jésus.
--Et que lui demandes-tu dans ta prière?
--Je le prie de me faire devenir bien grande et bien forte pour gagner notre vie, afin de ne plus demander à ceux qui ne nous doivent rien.
--Tu seras donc bien contente quand tu pourras travailler?
--Oh! oui, madame, je vous l'assure.
--Et que feras-tu de l'argent que tu gagneras, quand tu seras grande?
--Je donnerai du pain et une robe à maman; puis je donnerai aussi quelque chose à la mère Nannette, qui est si charitable pour nous.
--Mais elle me semble fort à l'aise, la mère Nannette.
--Madame, elle n'est pas riche, et, si elle n'épargnait pas autant, elle aurait bien de la peine à vivre.?
Au bout de quinze jours, Jeanne sut assez bien tricoter pour faire un bas. Sophie lui en commen?a un, et Jeanne fut très-joyeuse de faire voir à sa maman et à la mère Nannette comment elle travaillait. Quand elle gardait les oies et les deux petits canards, elle avait toujours son bas à la main; elle ne le quittait pas non plus pour aller aux portes. Les gens qui la voyaient si travailleuse lui donnaient souvent quelque chose avec son pain, ou bien des légumes
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