avec les cinquante que me donne Mme Dumont, serviront à nous acheter quelque chose pour nous habiller; car j'ai honte de nos guenilles.?
La mère Nannette fait la lessive.
Deux jours après, la mère Nannette dit qu'elle allait faire la lessive. Catherine lui proposa de l'entasser pendant qu'elle mènerait ses bêtes aux champs. La petite Jeanne alla toute seule aux portes: elle eut bien de la peine à s'y décider; mais quand sa mère lui eut fait comprendre que, si elle ne l'accompagnait pas, c'était pour rendre service à la mère Nannette, la petite partit sans rien dire. Elle rentra le soir bien joyeuse, parce qu'elle rapportait beaucoup de pain et une paire de sabots presque neufs qu'une femme lui avait donnée; elle les avait mis tout de suite à ses pieds, car les siens étaient tout percés.
En passant auprès de l'abreuvoir, elle s'était arrêtée pour regarder un homme qui lavait des radis et en faisait de petits paquets. Il lui avait dit:
?En veux-tu, petite, que tu les regardes si bien??
Jeanne baissa la tête et ne dit rien, car elle n'était pas hardie.
?Allons, lui dit l'homme, tends ton tablier.?
Et il lui en jeta une bonne poignée. La petite Jeanne le remercia et fut bien contente. La mère Nannette lui donna du sel pour manger ses radis, et elle fit un bon souper, ainsi que sa mère.
Catherine dit à la mère Nannette:
?Je chaufferai votre lessive demain et je vous aiderai à la laver après-demain. On a beaucoup donné à Jeanne: elle ira à l'herbe et conduira les oisons aux champs; cela vous fera gagner du temps, et vous pourrez travailler un peu.?
La petite Jeanne va chez Mme Dumont.
Le vendredi, Jeanne, en s'éveillant, dit à sa mère:
?C'est aujourd'hui que nous devons aller chez la dame chercher les cinquante centimes; nous irons, n'est-ce pas, maman?
--Ma fille, tu iras toute seule, car il faut que j'aide la mère Nannette à laver son linge. Tu vas même y aller ce matin, afin de mener les oisons et la chèvre aux champs quand tu seras revenue.
--Maman, jamais je n'oserai entrer toute seule dans cette belle maison.
--Pourquoi donc, ma Jeanne? Cette dame est si bonne, que tu ne dois pas craindre de lui parler. Je vais t'habiller le plus proprement que je le pourrai. Trouveras-tu bien la maison?
--Oh! oui: je suivrai le ruisseau jusqu'au moulin, et j'y arriverai tout droit.?
En partant, Jeanne prit un baton pour se défendre contre les chiens qu'elle pourrait rencontrer. Elle arriva devant la grille du jardin, et vit sous un berceau de chèvrefeuille M. et Mme Dumont qui déjeunaient avec leurs enfants. Ce fut Isaure, la petite demoiselle aux cheveux blonds, qui vit Jeanne la première:
?Maman, voici la jolie petite fille qui a rapporté le bracelet.?
Et elle se leva pour aller lui ouvrir la grille; mais son frère Auguste, qui avait déjà treize ans, courut plus vite qu'elle et fit entrer Jeanne.
?Tu viens chercher les cinquante centimes?? dit Isaure, qui n'était pas plus grande que Jeanne.
Puis, avec la permission de sa mère, elle prit un gros morceau d'une tarte aux prunes qui était sur la table, et le lui mit dans la main:
?Mange, petite; c'est bien bon.?
Jeanne prit la tarte, mais elle n'y toucha pas.
?Tu n'as donc pas faim?
--Si fait, mademoiselle, je n'ai pas encore déjeuné.
--Tu n'aimes peut-être pas la tarte?
--Je ne sais pas, je n'en ai jamais mangé; mais elle sent bien bon! je crois que c'est encore meilleur que la galette.
--Eh bien, pourquoi n'en manges-tu pas??
Jeanne ne répondit rien.
Mme Dumont demanda aussi à Jeanne pourquoi elle ne touchait pas à sa portion de tarte. Elle lui répondit en baissant la tête:
?C'est que je voudrais l'emporter pour le go?ter de maman et de la mère Nannette.
--Mon enfant, il n'y a pas de mal à cela, au contraire; tu fais bien de partager ce que tu as de bon avec la mère Nannette, qui vient au secours de votre grande misère; mais en voici un autre petit morceau, que tu vas manger là, devant moi.?
Quand Jeanne eut fini de manger, on lui fit boire un peu de vin et d'eau, et on lui donna une pièce de cinquante centimes toute neuve.
La petite Jeanne sauve la cane de la meunière.
Comme Jeanne, en s'en retournant, passait auprès du moulin, elle vit un jeune chien qui tenait une cane par la tête; il la secouait si fort qu'il n'aurait pas tardé à lui arracher le cou, si la petite Jeanne, qui était courageuse, n'e?t frappé sur lui de toutes ses forces. Il lacha la cane qui resta comme morte, étendue par terre. Elle la ramassa et la mit dans son tablier pour la porter à la meunière. On fit prendre quelques gorgées de vin à la pauvre bête, et on la mit dans une corbeille pleine de plumes. Cette cane avait dix-huit canetons qui étaient restés au
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