et la mère Nannette prit ses beaux habits. Elle regarda la petite Jeanne, et, lui voyant un fichu tout déchiré, elle lui en mit un des siens; puis elles partirent pour l'église, emportant chacune sa chaise.
Pendant toute la messe, Jeanne tint un chapelet que lui avait prêté la mère Nannette, et dit ses prières. Elle ne tourna point la tête pour voir qui entrait ni qui sortait; elle se mettait à genoux en même temps que tout le monde, et se relevait comme les autres.
M. le curé, après la messe, demanda à la mère Nannette où elle avait pris cette enfant-là. Alors elle lui raconta l'histoire de Catherine.
?Mère Nannette, vous êtes une digne femme, lui dit-il; la parole de Dieu n'est pas perdue pour vous.?
Retour de Catherine.
Vers midi, l'on vit venir ma?tre Guillaume dans une charrette attelée d'un bel ane brun. Il s'arrêta devant la porte de la mère Nannette, et fit descendre Catherine, qui fut bien contente de revoir sa petite Jeanne qu'elle n'avait jamais quittée auparavant. Elle détela l'ane; la mère Nannette le prit par le licou pour l'attacher dans l'étable à c?té de sa vache; puis elle remplit le ratelier de bon trèfle, et revint aider Guillaume à descendre le coffre et le lit de Catherine. Ce lit avait des rideaux de toile rayée et une paillasse que Guillaume avait remplie de paille fra?che, en souvenir de son amitié pour son parent, l'homme défunt de Catherine. Il y avait aussi une petite chaise. On monta le ciel du lit dans un coin de la chambre, qui était fort grande; on mit le chalit dessous et le coffre au pied du lit.
[Illustration: Jeanne récite ses prières.]
?A présent que tout est en place, vous allez go?ter avec nous, ma?tre Guillaume, dit la mère Nannette. J'ai fait une bonne fricassée de pommes de terre nouvelles que j'ai accommodées avec mon beurre tout frais; j'ai aussi cueilli une salade dans mon jardin, et nous l'assaisonnerons avec l'huile de mon noyer. Mon pain n'a que quatre jours, et mes pruniers, sans les vanter, donnent d'excellentes prunes.?
En disant cela, elle alla au cellier avec la petite Jeanne, et en rapporta du vin bien rouge, qui écumait tout autour de la gueule du broc.
?Voyez-vous, ma?tre Guillaume, dit-elle en posant le vase sur la table, j'ai toujours un quartaut de bon vin en perce. Si quelque voisin re?oit un mauvais coup, je lui en porte un peu; quand un malade en convalescence n'a pas de vin pour se refaire, je lui en donne aussi longtemps qu'il en a besoin; et tous les dimanches j'en donne aussi une chopine au père Bonnet, le vieux pauvre du bourg: ?a le réchauffe, le cher homme, qui aura quatre-vingts ans à No?l prochain. Pour moi, je n'en bois guère que lorsque j'ai du monde, comme aujourd'hui.?
L'on se mit à table et l'on mangea les pommes de terre, qui étaient excellentes. Ma?tre Guillaume, remplissant son verre jusqu'aux bords, se leva, ?ta son chapeau et dit:
?Je bois à la santé de la mère Nannette, qui a compassion du pauvre monde!?
Quand on eut fini, la mère Nannette tira un bon seau d'eau fra?che pour faire boire l'ane de ma?tre Guillaume. Il l'attela et s'en retourna chez lui.
Catherine va à la porte de M. le curé.
Après le départ de ma?tre Guillaume, Catherine prit sa fille par la main et lui donna son bissac; elles firent une tournée dans le bourg et dans les métairies des environs. En passant, elles s'arrêtèrent devant la porte de M. le curé, qui les fit entrer.
?Ma bonne femme, dit-il à Catherine, pourquoi ne placez-vous pas cette enfant chez quelque cultivateur qui l'enverrait aux champs garder les bestiaux? Elle y serait plus heureuse qu'elle ne peut l'être avec vous, et elle ne s'accoutumerait pas à mendier. Prenez garde! vous en ferez une fainéante.
--Monsieur le curé, il y a longtemps que j'y ai pensé, et je vous assure que c'est un grand chagrin pour moi que de la voir aller aux portes: il y a même des jours où elle ne peut s'y décider; mais je suis si faible, si malade, que je ne pourrai sortir de tout l'hiver.
--Pourquoi donc cela?
--C'est que les médecins l'ont défendu, parce qu'ils disent que j'ai les poumons attaqués. Je tousse beaucoup et je suis incapable de travailler; si Jeanne ne va pas demander du pain pour moi, il faudra donc mourir de faim! Mais soyez tranquille, monsieur le curé, je placerai ma petite Jeanne chez d'honnêtes gens aussit?t que je le pourrai; ?a me peine bien trop de mendier à mon age, pour vouloir que ma fille en fasse autant.
--Vous avez raison, ma brave femme. Nous verrons dans quelque temps ce qu'on pourra faire pour vous: en attendant, vous viendrez tous les dimanches ici chercher vingt-cinq centimes.
--Grand merci, monsieur le curé: ces vingt-cinq centimes-là,
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