cette petite fille n'avait pas souvent si bonne chance. Ensuite elle leur versa un verre de boisson à chacune, et dit à la pauvre femme:
?Mon Dieu! il faut qu'il vous soit arrivé un bien grand malheur, pour qu'une femme, aussi jeune que vous, ait pu se décider à demander son pain!
--Oh! oui, un bien grand malheur, ma chère femme. Il faut se trouver dépourvue de toute ressource pour se résoudre à en venir là. J'ai bien souffert de la faim avant de pouvoir me décider à tendre la main; je crois que je me serais plut?t laissé mourir, si je n'avais la crainte de Dieu et si je n'aimais tant cette pauvre innocente que voilà, et qui serait morte aussi. Quand il m'en co?te trop pour aller demander, je la regarde et je reprends courage. C'est bien triste, allez, ma chère femme, quand on a du coeur, de vivre en ne faisant rien, aux dépens de ceux qui travaillent! mais je ne peux pas faire autrement.
[Illustration: Catherine et Jeanne.]
--Pourquoi donc? dit la mère Nannette. Contez-moi ?a.?
La pauvre femme dit à la mère Nannette:
?Je suis du village qui est auprès du Cher, à trois lieues d'ici. Il y a deux mois, j'ai perdu mon mari à la suite d'une grosse maladie qui l'a retenu au lit pendant bien longtemps. J'ai vendu tout ce que j'avais afin de pouvoir le soigner. Quand il n'y a plus rien eu à la maison que le lit sur lequel il était couché, il a bien fallu s'endetter. Après sa mort, on a vendu la maison, le jardin, la chènevière, enfin tout, pour payer le médecin et les autres, et je ne sais plus où me retirer. On ne veut pas me louer, même une petite chambre, parce que je n'ai pas de mobilier pour répondre du loyer. Je couche avec ma petite Jeanne dans les granges, quand on veut bien m'y souffrir, ou bien sur les tas de chaume. C'est bon à présent qu'il fait chaud; mais plus tard, comment faire avec cette enfant, moi à qui les médecins ont défendu de sortir pendant tout l'hiver??
Et la pauvre malheureuse se mit à pleurer. Sa petite fille pleura aussi en l'embrassant. Elle avait l'air si doux et si aimable, cette petite, que la mère Nannette sentit fondre son coeur en pensant à la misère qu'elle endurerait quand l'hiver serait venu. Aussit?t il lui vint dans l'idée de faire une bonne action.
La mère Nannette donne asile à Catherine.
?Comment vous appelez-vous donc? demanda la mère Nannette.
--On m'appelle Catherine Leblanc.
--Eh bien! Catherine, j'ai là un vieux lit, une paillasse et une couverture; si vous voulez rester ici, je vous logerai de bien bon coeur et je vous soignerai de mon mieux, ainsi que votre petite; j'aime beaucoup les enfants; j'en ai eu quatre, que le bon Dieu m'a retirés, et je suis bien seule au monde.
--Grand merci! ma brave femme; vous me rendrez là un service qui nous sauvera la vie à moi et à mon enfant. J'ai encore mon lit, avec un coffre et une petite chaise. Ma?tre Guillaume, le cousin de feu mon pauvre homme, me les garde dans sa grange; il me les apportera bien dimanche. Si vous me logez avec mon chétif mobilier, je vous donnerai les sous que je ramasserai en allant aux portes.
--Je ne vous demande rien, Catherine; j'aime déjà votre petite Jeanne et j'en aurai bien soin. Dieu veut que nous fassions aux autres ce que nous voudrions que les autres fissent pour nous; et si j'étais dans votre position, je serais bien heureuse de trouver quelqu'un qui voul?t me recevoir dans sa maison.?
Catherine était bien contente, et sa petite fille lui sauta au cou.
?Maman! il ne faut plus pleurer,? lui dit-elle.
Puis, se tournant du c?té de la mère Nannette, elle dit en baissant la tête:
?Je voudrais bien vous embrasser aussi.?
La mère Nannette la prit sur ses genoux et l'embrassa de bon coeur.
Catherine et Jeanne trouvent un bracelet.
Après que la mère et la fille se furent reposées, elles se remirent en chemin pour aller chercher leur pain dans la campagne, en disant qu'elles reviendraient le soir. Comme on était dans la saison des prunes et des groseilles, la mère Nannette en alla cueillir au jardin et les mit dans le bissac de Jeanne, pour qu'elle p?t se rafra?chir quand elle aurait trop chaud.
Comme elles traversaient la grande route pour revenir chez la mère Nannette, après avoir achevé leur tournée, la petite Jeanne vit briller un objet au soleil; elle courut le ramasser et l'apporta joyeusement à sa mère.
?Voyez donc, maman, le joli collier que j'ai trouvé; je le mettrai dimanche à mon cou.
--Ma fille, ceci est un bijou qui se porte autour du bras et qu'on appelle bracelet. Il n'est pas à nous, et nous ne pouvons pas le garder.
--Pourquoi donc, maman?
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