a même des jours où elle ne peut s'y décider; mais je suis si faible, si
malade, que je ne pourrai sortir de tout l'hiver.
--Pourquoi donc cela?
--C'est que les médecins l'ont défendu, parce qu'ils disent que j'ai les
poumons attaqués. Je tousse beaucoup et je suis incapable de travailler;
si Jeanne ne va pas demander du pain pour moi, il faudra donc mourir
de faim! Mais soyez tranquille, monsieur le curé, je placerai ma petite
Jeanne chez d'honnêtes gens aussitôt que je le pourrai; ça me peine bien
trop de mendier à mon âge, pour vouloir que ma fille en fasse autant.
--Vous avez raison, ma brave femme. Nous verrons dans quelque temps
ce qu'on pourra faire pour vous: en attendant, vous viendrez tous les
dimanches ici chercher vingt-cinq centimes.
--Grand merci, monsieur le curé: ces vingt-cinq centimes-là, avec les
cinquante que me donne Mme Dumont, serviront à nous acheter
quelque chose pour nous habiller; car j'ai honte de nos guenilles.»
La mère Nannette fait la lessive.
Deux jours après, la mère Nannette dit qu'elle allait faire la lessive.
Catherine lui proposa de l'entasser pendant qu'elle mènerait ses bêtes
aux champs. La petite Jeanne alla toute seule aux portes: elle eut bien
de la peine à s'y décider; mais quand sa mère lui eut fait comprendre
que, si elle ne l'accompagnait pas, c'était pour rendre service à la mère
Nannette, la petite partit sans rien dire. Elle rentra le soir bien joyeuse,
parce qu'elle rapportait beaucoup de pain et une paire de sabots presque
neufs qu'une femme lui avait donnée; elle les avait mis tout de suite à
ses pieds, car les siens étaient tout percés.
En passant auprès de l'abreuvoir, elle s'était arrêtée pour regarder un
homme qui lavait des radis et en faisait de petits paquets. Il lui avait dit:
«En veux-tu, petite, que tu les regardes si bien?»
Jeanne baissa la tête et ne dit rien, car elle n'était pas hardie.
«Allons, lui dit l'homme, tends ton tablier.»
Et il lui en jeta une bonne poignée. La petite Jeanne le remercia et fut
bien contente. La mère Nannette lui donna du sel pour manger ses radis,
et elle fit un bon souper, ainsi que sa mère.
Catherine dit à la mère Nannette:
«Je chaufferai votre lessive demain et je vous aiderai à la laver
après-demain. On a beaucoup donné à Jeanne: elle ira à l'herbe et
conduira les oisons aux champs; cela vous fera gagner du temps, et
vous pourrez travailler un peu.»
La petite Jeanne va chez Mme Dumont.
Le vendredi, Jeanne, en s'éveillant, dit à sa mère:
«C'est aujourd'hui que nous devons aller chez la dame chercher les
cinquante centimes; nous irons, n'est-ce pas, maman?
--Ma fille, tu iras toute seule, car il faut que j'aide la mère Nannette à
laver son linge. Tu vas même y aller ce matin, afin de mener les oisons
et la chèvre aux champs quand tu seras revenue.
--Maman, jamais je n'oserai entrer toute seule dans cette belle maison.
--Pourquoi donc, ma Jeanne? Cette dame est si bonne, que tu ne dois
pas craindre de lui parler. Je vais t'habiller le plus proprement que je le
pourrai. Trouveras-tu bien la maison?
--Oh! oui: je suivrai le ruisseau jusqu'au moulin, et j'y arriverai tout
droit.»
En partant, Jeanne prit un bâton pour se défendre contre les chiens
qu'elle pourrait rencontrer. Elle arriva devant la grille du jardin, et vit
sous un berceau de chèvrefeuille M. et Mme Dumont qui déjeunaient
avec leurs enfants. Ce fut Isaure, la petite demoiselle aux cheveux
blonds, qui vit Jeanne la première:
«Maman, voici la jolie petite fille qui a rapporté le bracelet.»
Et elle se leva pour aller lui ouvrir la grille; mais son frère Auguste, qui
avait déjà treize ans, courut plus vite qu'elle et fit entrer Jeanne.
«Tu viens chercher les cinquante centimes?» dit Isaure, qui n'était pas
plus grande que Jeanne.
Puis, avec la permission de sa mère, elle prit un gros morceau d'une
tarte aux prunes qui était sur la table, et le lui mit dans la main:
«Mange, petite; c'est bien bon.»
Jeanne prit la tarte, mais elle n'y toucha pas.
«Tu n'as donc pas faim?
--Si fait, mademoiselle, je n'ai pas encore déjeuné.
--Tu n'aimes peut-être pas la tarte?
--Je ne sais pas, je n'en ai jamais mangé; mais elle sent bien bon! je
crois que c'est encore meilleur que la galette.
--Eh bien, pourquoi n'en manges-tu pas?»
Jeanne ne répondit rien.
Mme Dumont demanda aussi à Jeanne pourquoi elle ne touchait pas à
sa portion de tarte. Elle lui répondit en baissant la tête:
«C'est que je voudrais l'emporter pour le goûter de maman et de la mère
Nannette.
--Mon enfant, il n'y a pas de mal à cela, au contraire; tu fais bien de
partager ce que
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.