La petite Jeanne | Page 5

Zulma Carraud
se
souvenant qu'elle n'était pas là, elle se leva, s'habilla et pria la mère
Nannette de la laver et de la peigner, comme faisait Catherine; ensuite,
elle se mit à genoux et fit sa prière.
«Quelles prières sais-tu? lui demanda la mère Nannette.
--Je sais Notre Père et Je vous salue, Marie.
--Dis-les donc tout haut.»

Jeanne les récita sans en manquer un mot. Quand elle eut fini, comme
elle restait encore à genoux, la mère Nannette lui demanda:
«Que dis-tu donc encore?
--Je demande au bon Dieu d'avoir pitié de nous et de bénir tous ceux
qui nous assistent; je dis votre nom le premier et celui de Mme Dumont
après. Maman me l'a fait dire comme cela hier.»
La messe sonna, et la mère Nannette prit ses beaux habits. Elle regarda
la petite Jeanne, et, lui voyant un fichu tout déchiré, elle lui en mit un
des siens; puis elles partirent pour l'église, emportant chacune sa chaise.
Pendant toute la messe, Jeanne tint un chapelet que lui avait prêté la
mère Nannette, et dit ses prières. Elle ne tourna point la tête pour voir
qui entrait ni qui sortait; elle se mettait à genoux en même temps que
tout le monde, et se relevait comme les autres.
M. le curé, après la messe, demanda à la mère Nannette où elle avait
pris cette enfant-là. Alors elle lui raconta l'histoire de Catherine.
«Mère Nannette, vous êtes une digne femme, lui dit-il; la parole de
Dieu n'est pas perdue pour vous.»
Retour de Catherine.
Vers midi, l'on vit venir maître Guillaume dans une charrette attelée
d'un bel âne brun. Il s'arrêta devant la porte de la mère Nannette, et fit
descendre Catherine, qui fut bien contente de revoir sa petite Jeanne
qu'elle n'avait jamais quittée auparavant. Elle détela l'âne; la mère
Nannette le prit par le licou pour l'attacher dans l'étable à côté de sa
vache; puis elle remplit le râtelier de bon trèfle, et revint aider
Guillaume à descendre le coffre et le lit de Catherine. Ce lit avait des
rideaux de toile rayée et une paillasse que Guillaume avait remplie de
paille fraîche, en souvenir de son amitié pour son parent, l'homme
défunt de Catherine. Il y avait aussi une petite chaise. On monta le ciel
du lit dans un coin de la chambre, qui était fort grande; on mit le châlit
dessous et le coffre au pied du lit.

[Illustration: Jeanne récite ses prières.]
«A présent que tout est en place, vous allez goûter avec nous, maître
Guillaume, dit la mère Nannette. J'ai fait une bonne fricassée de
pommes de terre nouvelles que j'ai accommodées avec mon beurre tout
frais; j'ai aussi cueilli une salade dans mon jardin, et nous
l'assaisonnerons avec l'huile de mon noyer. Mon pain n'a que quatre
jours, et mes pruniers, sans les vanter, donnent d'excellentes prunes.»
En disant cela, elle alla au cellier avec la petite Jeanne, et en rapporta
du vin bien rouge, qui écumait tout autour de la gueule du broc.
«Voyez-vous, maître Guillaume, dit-elle en posant le vase sur la table,
j'ai toujours un quartaut de bon vin en perce. Si quelque voisin reçoit un
mauvais coup, je lui en porte un peu; quand un malade en
convalescence n'a pas de vin pour se refaire, je lui en donne aussi
longtemps qu'il en a besoin; et tous les dimanches j'en donne aussi une
chopine au père Bonnet, le vieux pauvre du bourg: ça le réchauffe, le
cher homme, qui aura quatre-vingts ans à Noël prochain. Pour moi, je
n'en bois guère que lorsque j'ai du monde, comme aujourd'hui.»
L'on se mit à table et l'on mangea les pommes de terre, qui étaient
excellentes. Maître Guillaume, remplissant son verre jusqu'aux bords,
se leva, ôta son chapeau et dit:
«Je bois à la santé de la mère Nannette, qui a compassion du pauvre
monde!»
Quand on eut fini, la mère Nannette tira un bon seau d'eau fraîche pour
faire boire l'âne de maître Guillaume. Il l'attela et s'en retourna chez lui.
Catherine va à la porte de M. le curé.
Après le départ de maître Guillaume, Catherine prit sa fille par la main
et lui donna son bissac; elles firent une tournée dans le bourg et dans
les métairies des environs. En passant, elles s'arrêtèrent devant la porte
de M. le curé, qui les fit entrer.

«Ma bonne femme, dit-il à Catherine, pourquoi ne placez-vous pas
cette enfant chez quelque cultivateur qui l'enverrait aux champs garder
les bestiaux? Elle y serait plus heureuse qu'elle ne peut l'être avec vous,
et elle ne s'accoutumerait pas à mendier. Prenez garde! vous en ferez
une fainéante.
--Monsieur le curé, il y a longtemps que j'y ai pensé, et je vous assure
que c'est un grand chagrin pour moi que de la voir aller aux portes: il y
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