La patrie française | Page 4

Francois Coppée
cette doctrine d'esclavage pour para?tre ?avancés? (comme si ce mot, appliqué aux opinions politiques, correspondait à un réel avancement intellectuel ou moral); ils y inclinent par idéologie niaise, ou par zèle de surenchère électorale,--ou peut-être parce qu'ils se disent qu'ils ne risquent rien, que cela n'?arrivera pas?; ou encore par la pensée que, si cela arrive, ils ne pourront manquer d'être, dans l'Etat nouveau, les distributeurs et les inspecteurs du travail et les gardes-chiourme bien rétribués des travailleurs.
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Or, ces traits de la minorité gouvernante ne se retrouvent nulle part dans l'inerte majorité.
Le Fran?ais moyen,---bourgeois, paysan, ouvrier à son compte ou petit patron,---nous le connaissons; il est à peu près le même dans toutes nos provinces.---Il aime la patrie et l'armée, sans trop raisonner, par un instinct très s?r, et ne supporte pas qu'on y touche.---Il est assez sérieusement imbu des principes de 89; il est libéral; il n'est pas du tout socialiste. La propriété individuelle est une des choses auxquelles il tient le plus, et je dirai même le plus aveuglément.---En général il n'aime pas beaucoup ?les curés?, mais il n'est pas intolérant. Il laisse sa femme et sa fille aller à la messe; il trouve bon que ses enfants fassent leur première communion; il se laissera enterrer par l'Eglise comme il s'est laissé marier par elle, et assez souvent même il mettra son fils dans un collège ecclésiastique (la preuve en est que le nombre des élèves des écoles libres d'enseignement secondaire est sensiblement égal, ces années-ci, au nombre des élèves des lycées, et tend à le dépasser).---Quoi d'étonnant à tout cela chez un peuple à l'histoire duquel, pendant quinze siècles, l'histoire même de l'Eglise a été intimement mêlée, où le culte catholique est encore entretenu et payé, malgré tout, par l'Etat franc-ma?on; où, par la force des choses, les plus grands mangeurs de prêtres ont dans leur famille, tout près d'eux, des personnes pieuses; où l'on voit des socialistes faire baptiser leurs enfants avec une eau spéciale et deux fois bénite, et où, pour prendre un autre exemple très significatif, les femmes des Présidents de la République ont été toutes, jusqu'ici, des catholiques pratiquantes?
Sur la religion même, le sentiment de ce Fran?ais moyen est assez complexe. La plupart du temps, il ne croit plus aux dogmes, ou il évite d'y songer. Mais, toutefois, il sent confusément que la morale fondée sur ces dogmes est pour quelque chose dans les vertus ou dans la bonne conduite de sa femme ou de sa fille; et, en homme pratique, il ne peut s'empêcher d'accorder provisoirement plus de confiance à cette morale-là, fixe, assurée, éprouvée, vingt fois séculaire, qu'à celle dont les manuels civiques et les précis de philosophie cherchent encore les bases fuyantes.
Il est certain que ce bourgeois-là, qui est légion,---et pareillement le paysan de France,--est assez indifférent aux injustices qui ne l'atteignent pas. Mais il est certain aussi qu'il n'est pas fanatique, et qu'il serait d'avis de respecter chez les autres toute liberté qui ne gêne pas la sienne. Il est très vrai qu'il a accepté sans protestation toutes les lois anticléricales des vingt dernières années, l'article 7, la la?cisation de l'école primaire, l'inepte la?cisation des h?pitaux, la loi sur les fabriques, la loi d' ?accroissement?, la loi des ?curés sac au dos?, qui, pour ennuyer les séminaristes et sous prétexte d'égalité, a amené des inégalités et des abus pires que ceux de jadis: mais il est encore plus vrai que ces mesures, préparées et imposées par les Loges, jamais il ne les aurait réclamées, jamais il n'en aurait senti le besoin.
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Comment donc expliquer que cette majorité soit représentée et conduite par une minorité qui lui ressemble si peu?
D'abord, le quart et, dans certaines régions, le tiers et presque la moitié des électeurs s'abstiennent: ce qui est très coupable, car un remède aux inexactitudes forcées du suffrage universel serait qu'il f?t universel en effet, et que tout le monde se rend?t aux urnes. En outre, dans beaucoup de circonscriptions, les minorités battues sont très fortes; si bien qu'il y a de trois à quatre millions d'électeurs dont l'opinion n'est pas représentée au Parlement. Mais tout cela ne suffirait pas encore à expliquer que l'insincérité du suffrage universel atteigne aux monstrueuses proportions que j'ai dites. Il faut ajouter ce triste phénomène: une très grande quantité d'électeurs, soit ignorance, ou faiblesse, ou esprit d'imitation, ou respect humain, votent pour des candidats dont ils ne partagent nullement les idées et les passions. Et, ainsi, il arrive que des lois comme celles que je rappelais tout à l'heure, des lois que le Fran?ais moyen ne désirait pas, soient réclamées et votées par un député à qui il a donné sa voix.
Nous devons reconna?tre que c'est bien un peu, ou que ce fut, à l'origine, la faute
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