La nouvelle Carthage | Page 7

Georges Eekhoud
d'un avril compromis. Et cette berceuse narquoise et bourrelante semblait r��p��ter: ?Encore!... Encore!... Encore!...?
III. LA FABRIQUE
F��licit�� finit par fermer �� clef, pendant le jour, la mansarde du solitaire et l'envoyer jouer au jardin. Celui-ci avait ��t�� r��duit d'emprise en emprise aux dimensions d'un pr��au. Des fen��tres de la maison les yeux de l'espionne pouvaient en fouiller les moindres recoins. Aussi, las de cette surveillance, le gamin incursionna sur le territoire m��me de l'usine.
Les quinze cents t��tes de la fabrique se courbaient sous un r��glement d'une s��v��rit�� draconienne. C'��taient pour le moindre manquement des amendes, des retenues de salaire, des expulsions contre lesquelles il n'y avait pas d'appel. Une justice stricte. Pas d'iniquit��, mais une discipline caserni��re, un code de p��nalit��s mal proportionn��es aux offenses, une balance toujours pench��e du c?t�� des ma?tres.
Saint-Fardier, un gros homme �� t��te de cabotin, olivatre, lippeux et cr��pu comme un quarteron, parcourait, �� certains jours, la fabrique, en menant un train d'enfer. Il hurlait, roulait des yeux de basilic, battait des bras, faisait claquer les portes, chassait comme un bolide d'une salle dans l'autre. Au passage de cette trombe s'amoncelaient la d��tresse et la d��solation. Par mitraille les peines pleuvaient sur la population ahurie. La moindre peccadille entra?nait le renvoi du meilleur et du plus ancien des aides, Saint-Fardier se montrait aussi cassant avec les surveillants qu'avec le dernier des apprentis. On aurait m��me dit que s'il lui arrivait de mesurer ses coups et de distinguer ses victimes, c'��tait pour frapper de pr��f��rence les vieux serviteurs, ceux qu'aucune punition n'avait encore atteints ou qui travaillaient �� l'usine depuis sa fondation. Les ouvriers l'avaient surnomm�� le Pacha, tant �� cause de son arbitraire que de sa paillardise.
Dobouziez, aussi entier, aussi autoritaire que son associ��, ��tait moins d��monstratif, plus renferm��. Lui ��tait le juge, l'autre l'ex��cuteur. Au fond. Dobouziez, ce taupin bien ��lev��, jaugeait �� sa valeur son ignare et grossier partenaire qu'un riche mariage avait mis en possession d'un capital ��gal �� celui de son associ��. Le math��maticien s'estimait heureux d'employer ce gueulard, cet homme de poigne, aux extr��mit��s r��pugnant �� sa nature fine et temp��r��e.
On avait remarqu�� que les coupes sombres op��r��es dans l'important personnel co?ncidaient g��n��ralement avec une baisse de l'article fabriqu�� ou une hausse de la mati��re premi��re.
Cependant Dobouziez devait refr��ner le z��le de son associ�� qui, stimul�� encore par une affection h��patique, se livrait �� des proscriptions dignes d'un Marius.
Industriel tr��s cupide, mais non moins sage, Dobouziez qui admettait l'exploitation du prol��taire, r��prouvait �� l'��gal d'utopies et d'excentricit��s po��tiques toute barbarie inutile et toute cruaut�� compromettante, Il assimilait ses travailleurs �� des ��tres d'une esp��ce inf��rieure, �� des brutes de rapport qu'il m��nageait dans son propre int��r��t. C'��tait un positiviste frigide, une parfaite machine �� gagner de l'argent, sans vibration inopportune, sans vell��it��s sentimentales, ne d��viant pas d'un milli��me de seconde. Chez lui rien d'impr��vu. Sa conscience repr��sentait un superbe sextant, un admirable instrument de pr��cision. S'il ��tait vertueux, c'��tait par dignit��, par aversion pour les choses irr��guli��res, le scandale, le tapage, et aussi parce qu'il avait v��rifi�� sur la vie humaine que la ligne droite est, en somme, le chemin le plus court d'un point �� un autre. Vertu d'ordre purement abstrait.
S'il d��sapprouvait les ��clats de son trop bouillant acolyte, c'��tait au nom de l'��quilibre, du bel ordre; par respect pour l'alignement; le niveau normal, pour sauver les apparences et pr��server la sym��trie.
En se promenant dans la fabrique, ce qui lui arrivait �� de tr��s rares occasions, par exemple lorsqu'il s'agissait d'exp��rimenter ou d'appliquer une invention nouvelle, -- il s'��tonnait parfois de l'absence d'une figure �� laquelle il s'��tait habitu��.
-- Tiens! disait-il �� son comp��re, je ne vois plus le vieux Jef?
-- Nettoy��! r��pondait Saint-Fardier, d'un geste tranchant comme un couperet.
-- Et pourquoi cela? objectait Dobouzier. Un ouvrier qui nous servait depuis vingt ans!
-- Peuh!... Il buvait... Il ��tait devenu malpropre, n��gligent! Quoi!
-- En v��rit��? Et son rempla?ant?
-- Un solide manoeuvre qui ne touche que le quart de ce que nous co?tait cet invalide.
Et Saint-Fardier clignait malicieusement de l'oeil, ��piant un sourire d'intelligence sur le visage de son associ��, mais l'autre augure ne se d��ridait pas et sans d��sapprouver, non plus, ce renvoi, rompait les chiens, d'un air indiff��rent.
Certes, il fallait �� ces ouvriers une forte dose de philosophie et de patience pour endurer sans se rebiffer la superbe, les m��pris, les rigueurs, l'arbitraire des patrons arm��s contre eux d'une l��galit�� inique!
Et que d'accidents, d'infirmit��s, de mortuaires aggravant le sort de ces ilotes! La nature de l'industrie m��me ench��rissait sur la malveillance des industriels.
Laurent qui visitait l'usine dans tous ses organes, qui suivait les oeuvres multiples que n��cessite la confection des bougies depuis le traitement des f��tides mati��res organiques, graisses de boeufs et de moutons, d'o�� se s��pare, non sans peine, la st��arine blanche et entaill��e, jusqu'�� l'empaquetage, la mise en
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