La mort de César | Page 8

Voltaire
Par les manes sacrés de tous ces vrais Romains, Qui dans les champs d'Afrique ont fini leurs destins, Jurez par tous les Dieux, vengeurs de la patrie, Que Cesar sous vos coups va terminer sa vie.
CASSIUS.
Faisons plus, mes amis, jurons d'exterminer Quiconque ainsi que lui prétendra gouverner: Fussent nos propres fils, nos frères, ou nos pères: S'ils sont Tyrans, Brutus, ils sont nos adversaires. Un vrai Républicain, n'a pour père & pour fils Que la vertu, les Dieux, les Loix & son pays.
BRUTUS.
Oui, j'unis pour jamais mon sang avec le v?tre. Tous dès ce moment même adoptés l'un par l'autre, Le salut de l'Etat nous a rendu parens. Scélons notre union du sang de nos Tyrans. Il s'avance vers la statu? de Pompée. Nous le jurons par vous, Héros, dont les images A ce pressant devoir excitent nos courages; Nous promettons, Pompée, à tes sacrés genoux, De faire tout pour Rome, & jamais rien pour nous; D'être unis pour l'Etat, qui dans nous se rassemble, De vivre, de combattre, & de mourir ensemble. Allons, préparons-nous: c'est trop nous arrêter.
SCENE V.
CESAR, BRUTUS.
CESAR.
Demeure. C'est ici que tu dois m'écouter; Où vas-tu, malheureux?
BRUTUS.
Loin de la Tyrannie.
CESAR.
Licteurs, qu'on le retienne.
BRUTUS.
Achève, & pren ma vie.
CESAR.
Brutus, si ma colère en voulait à tes jours, Je n'aurais qu'à parler, j'aurais finis leurs cours. Tu l'as trop mérité. Ta fière ingratitude Se fait de m'offenser une farouche étude. Je te retrouve encor avec ceux des Romains, Dont j'ai plus soup?onné les perfides desseins; Avec ceux qui tant?t ont osé me déplaire, Ont blamé ma conduite, ont bravé ma colère.
BRUTUS.
Ils parlaient en Romains, Cesar; & leurs avis, Si les Dieux t'inspiraient, seraient encor suivis.
CESAR.
Je souffre ton audace, & consens à t'entendre: De mon rang avec toi je me plais à descendre. Que me reproches-tu?
BRUTUS.
Le monde ravagé, Le sang des Nations, ton pays saccagé: Ton pouvoir, tes vertus, qui font tes injustices, Qui de tes attentats sont en toi les complices; Ta funeste bonté, qui fait aimer tes fers, Et qui n'est qu'un appas pour tromper l'Univers.
CESAR.
Ah! c'est ce qu'il fallait reprocher à Pompée. Par sa feinte vertu la tienne fut trompée. Ce Citoyen superbe, à Rome plus fatal, N'a pas même voulu Cesar pour son égal. Crois-tu, s'il m'e?t vaincu, que cette ame hautaine, E?t laissé respirer la liberté Romaine; Sous un joug despotique il t'aurait accablé. Qu'e?t fait Brutus alors?
BRUTUS.
Brutus l'e?t immolé.
CESAR.
Voilà donc ce qu'enfin ton grand coeur me destine? Tu ne t'en défens point. Tu vis pour ma ruine, Brutus!
BRUTUS.
Si tu le crois, prévien donc ma fureur. Qui peut te retenir?
CESAR. Il lui présente la lettre de Servilie.
La nature, & mon coeur. Lis, ingrat, lis, connais le sang que tu m'opposes, Voi qui tu peux ha?r, & poursui si tu l'oses.
BRUTUS.
Où suis-je? Qu'ai-je l?? me trompez-vous, mes yeux?
CESAR.
Eh bien! Brutus, mon fils!
BRUTUS.
Lui, mon père! grands Dieux!
CESAR.
Oui, je le suis, ingrat: Quel silence farouche! Que dis-je? Quels sanglots échappent de ta bouche? Mon fils... Quoi, je te tiens muet entre mes bras! La Nature t'étonne & ne t'attendrit pas!
BRUTUS.
O sort épouvantable, & qui me désespère! O sermens! ? patrie! ? Rome toujours chère! Cesar!... Ah, malheureux; j'ai trop long-tems vécu.
CESAR.
Parle. Quoi d'un remords ton coeur est combattu! Ne me déguise rien. Tu gardes le silence? Tu crains d'être mon fils, ce nom sacré t'offense? Tu crains de me chérir, de partager mon rang; C'est un malheur pour toi d'être né de mon sang! Ah! ce sceptre du monde, & ce pouvoir suprême, Ce Cesar, que tu hais, les voulait pour toi-même. Je voulais partager, avec Octave & toi, Le prix de cent combats, & le titre de Roi.
BRUTUS.
Ah! Dieux!
CESAR.
Tu veux parler, & te retiens à peine? Ces transports sont-ils donc de tendresse ou de haine? Quel est donc le secret qui semble t'accabler?
BRUTUS.
Cesar....
CESAR.
Eh bien, mon fils?
BRUTUS.
Je ne puis lui parler.
CESAR.
Tu n'oses me nommer du tendre nom de père?
BRUTUS.
Si tu l'es, je te fais une unique prière.
CESAR.
Parle. En te l'accordant, je croirai tout gagner.
BRUTUS.
Fai-moi mourir sur l'heure, ou cesse de regner.
CESAR.
Ah! barbare ennemi, tigre que je caresse! Ah! coeur dénaturé qu'endurcit ma tendresse! Va, tu n'es plus mon fils. Va, cruel Citoyen, Mon coeur désespéré prend l'exemple du tien; Ce coeur, à qui tu fais cette effroyable injure, Saura bien comme toi vaincre enfin la Nature. Va, Cesar n'est pas fait pour te prier envain; J'apprendrai de Brutus à cesser d'être humain. Je ne te connais plus. Libre dans ma puissance, Je n'écouterai plus une injuste clémence. Tranquille, à mon courroux je vai m'abandonner; Mon coeur trop indulgent est las de pardonner. J'imiterai Sylla, mais dans ses violences; Vous tremblerez, ingrats, au bruit de mes vengeances. Va, cruel, va trouver tes indignes amis. Tous m'ont osé déplaire, ils seront tous punis. On sait ce que je puis, on verra ce que j'ose: Je deviendrai barbare, & toi seul en
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