La mort de César | Page 7

Voltaire
Feignant des sentimens long-tems étudiés, Jette & Sceptre & Couronne, & les foule à ses pieds. Alors tout se croit libre, alors tout est en proie Au fol enyvrement d'une indiscrète joie. Antoine est allarmé: Cesar feint, & rougit; Plus il cèle son trouble, & plus on l'applaudit. La modération sert de voile à son crime: Il affecte à regret un refus magnanime. Mais malgré ses efforts, il frémissait tout bas, Qu'on applaudit en lui les vertus qu'il n'a pas. Enfin ne pouvant plus retenir sa colère, Il sort du Capitole avec un front sévère. Il veut que dans une heure on s'assemble au Sénat, Dans une heure, Brutus, Cesar change l'Etat. De ce Sénat sacré la moitié corrompu?, Ayant acheté Rome, à Cesar l'a vendu?; Plus lache que ce peuple, à qui dans son malheur, Le nom de Roi du moins fait toujours quelque horreur. Cesar, déjà trop Roi, veut encor la Couronne: Le peuple la réfuse, & le Sénat la donne; Que faut-il faire enfin, Héros qui m'écoutez?
CASSIUS.
Mourir, finir des jours dans l'opprobre comptés. J'ai tra?né les liens de mon indigne vie, Tant qu'un peu d'espérance a flaté ma patrie. Voici son dernier jour, & du moins Cassius Ne doit plus respirer, lorsque l'Etat n'est plus. Pleure qui voudra Rome, & lui reste fidelle; Je ne peux la venger, mais j'expire avec elle. Je vais où sont nos Dieux... Pompée & Scipion, (En regardant leurs statues.) Il est tems de vous suivre, & d'imiter Caton.
BRUTUS.
Non, n'imitons personne, & servons tous d'exemple: C'est nous, braves amis, que l'Univers contemple; C'est à nous de répondre à l'admiration Que Rome en expirant conserve à notre nom. Si Caton m'avait cr?, plus juste en sa furie, Sur Cesar expirant il e?t perdu la vie; Mais il tourna sur soi ses innocentes mains; Sa mort fut inutile au bonheur des humains. Faisant tout pour la gloire, il ne fit rien pour Rome, Et c'est la seule faute où tomba ce grand homme.
CASSIUS.
Que veux-tu donc qu'on fasse en un tel désespoir?
BRUTUS, montrant le billet.
Voilà ce qu'on m'écrit, voilà notre devoir.
CASSIUS.
On m'en écrit autant, j'ai re?u ce reproche.
BRUTUS.
C'est trop le mériter.
CIMBER.
L'heure fatale approche. Dans une heure un Tyran détruit le nom Romain.
BRUTUS.
Dans une heure à Cesar il faut percer le sein.
CASSIUS.
Ah! je te reconnais à cette noble audace.
DECIMUS.
Ennemi des Tyrans, & digne de ta race, Voilà les sentimens que j'avais dans mon coeur.
CASSIUS.
Tu me rens à moi-même, & je t'en dois l'honneur; C'est-là ce qu'attendaient ma haine & ma colère De la male vertu qui fait ton caractère. C'est Rome qui t'inspire en des desseins si grands: Ton nom seul est l'arrêt de la mort des Tyrans. Lavons mon cher Brutus, l'opprobre de la Terre; Vengeons ce Capitole, au défaut du tonnerre. Toi Cimber, toi Cinna, vous Romains indomptés, Avez-vous une autre ame & d'autres volontés?
CIMBER.
Nous pensons comme toi, nous méprisons la vie. Nous détestons Cesar, nous aimons la patrie; Nous la vengerons tous; Brutus & Cassius De quiconque est Romain raniment les vertus.
DECIMUS.
Nés Juges de l'Etat, nés les vengeurs du crime, C'est souffrir trop long-tems la main qui nous opprime; Et quand sur un Tyran nous suspendons nos coups, Chaque instant qu'il respire est un crime pour nous.
CIMBER.
Admettrons-nous quelqu'autre à ces honneurs suprêmes?
BRUTUS.
Pour venger la patrie il suffit de nous-mêmes. Dolabella, Lépide, Emile, Bibulus, Ou tremblent sous Cesar, ou bien lui sont vendus; Ciceron qui d'un tra?tre a puni l'insolence, Ne sert la liberté que par son éloquence, Hardi dans le Sénat, faible dans le danger, Fait pour haranguer Rome, & non pour la venger. Laissons à l'Orateur, qui charme sa patrie, Le soin de nous louer, quand nous l'aurons servie. Non, ce n'est qu'avec vous que je veux partager Cet immortel honneur, & ce pressant danger. Dans une heure au Sénat le Tyran doit se rendre: Là, je le punirai; là, je le veux surprendre; Là, je veux que ce fer, enfoncé dans son sein, Venge Caton, Pompée, & le peuple Romain. C'est hazarder beaucoup. Ses ardens satellites Partout du Capitole occupent les limites; Ce peuple mou, volage, & facile à fléchir, Ne sait s'il doit encor l'aimer ou le ha?r. Notre mort, mes amis, para?t inévitable. Mais qu'une telle mort est noble & désirable! Qu'il est beau de périr dans des desseins si grands, De voir couler son sang dans le sang des Tyrans! Qu'avec plaisir alors on voit sa dernière heure! Mourons, braves amis, pourv? que Cesar meure, Et que la liberté, qu'oppriment ses forfaits, Renaisse de sa cendre, & revive à jamais.
CASSIUS.
Ne balan?ons donc plus, courons au Capitole: C'est-là qu'il nous opprime, & qu'il faut qu'on l'immole. Ne craignons rien du peuple il semble encor douter; Mais si l'idole tombe, il va la détester.
BRUTUS.
Jurez donc avec moi, jurez sur cette épée, Par le sang de Caton, par celui de Pompée,
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