La mort de César | Page 6

Voltaire
te contraindre.
CESAR.
Je les aurais punis, si je les pouvais craindre. Ne me conseille point de me faire ha?r. Je sai combattre, vaincre, & ne sai point punir. Allons, & n'écoutant ni soup?on, ni vengeance, Sur l'Univers soumis régnons sans violence.
Fin du premier Acte.

ACTE II.
SCENE I.
BRUTUS, ANTOINE, DOLABELLA.
ANTOINE.
Ce superbe refus, cette animosité, Marquent moins de vertu que de férocité. Les bontés de Cesar, & surtout sa puissance, Méritaient plus d'égards & plus de complaisance: A lui parler du moins vous pourriez consentir. Vous ne connaissez pas qui vous osez ha?r: Et vous en frémiriez, si vous pouviez apprendre...
BRUTUS.
Ah! je frémis déjà; mais c'est de vous entendre. Ennemi des Romains, que vous avez vendus, Pensez-vous ou tromper, ou corrompre Brutus? Allez ramper sans moi sous la main qui vous brave; Je sai tous vos desseins, vous br?lez d'être esclave. Vous voulez un Monarque! & vous êtes Romain!
ANTOINE.
Je suis ami, Brutus, & porte un coeur humain. Je ne recherche point une vertu plus rare: Tu veux être un Héros, mais tu n'est qu'un Barbare: Et ton farouche orgueil, que rien ne peut fléchir, Embrassa la vertu, pour la faire ha?r.
SCENE II
BRUTUS seul.
Quelle bassesse, ? Ciel! & quelle ignominie! Voilà donc les soutiens de ma triste patrie! Voilà vos successeurs, Horace, Decius, Et toi, vengeur des Loix, toi mon sang, toi Brutus! Quels restes, justes Dieux! de la grandeur Romaine! Chacun baise en tremblant la main qui nous encha?ne. Cesar nous a ravi jusques à nos vertus, Et je cherche ici Rome, & ne la trouve plus. Vous que j'ai vu périr, vous immortels courages, Héros, dont en pleurant j'apper?ois les images, Famille de Pompée, & toi, divin Caton, Toi dernier des Héros du sang de Scipion, Vous ranimez en moi ces vives étincelles Des vertus dont brillaient vos ames immortelles. Vous vivez dans Brutus, vous mettez dans mon sein Tout l'honneur qu'un Tyran ravit au nom Romain. Que vois-je, grand Pompée, au pied de ta statu?? Quel billet, sous mon nom, se présente à ma vu?? Lisons: (Il prend le billet.) Tu dors, Brutus, & Rome est dans les fers! Rome, mes yeux sur toi seront toujours ouverts; Ne me reproche point des cha?nes que j'abhorre. Mais quel autre billet à mes yeux s'offre encore? Non, tu n'es pas Brutus. Ah! reproche cruel! Cesar! tremble, Tyran, voilà ton coup mortel. Non, tu n'es pas Brutus. Je le suis, je veux l'être. Je périrai, Romains; ou vous serez sans Ma?tre. Je vois que Rome encor a des coeurs vertueux. On demande un vengeur, on a sur moi les yeux: On excite cette ame, & cette main trop lente: On demande du Sang... Rome sera contente.
SCENE III.
BRUTUS, CASSIUS, CINNA, CASCA, DECIMUS, Suite.
CASSIUS.
Je t'embrasse, Brutus, pour la dernière fois. Amis, il faut tomber sous les débris des Loix. De Cesar désormais je n'attens plus de grace; Il sait mes sentimens, il conna?t notre audace. Notre ame incorruptible étonne ses desseins; Il va perdre dans nous les derniers des Romains. C'en est fait, mes amis, il n'est plus de patrie, Plus d'honneur, plus de loix, Rome est anéantie; De l'Univers & d'elle il triomphe aujourdhui. Nos imprudens ayeux n'ont vaincu que pour lui. Ces dépouilles des Rois, ce Sceptre de la Terre, Six cent ans de vertus, de travaux & de guerre: Cesar jouit de tout, & dévore le fruit Que six siécles de gloire à peine avaient produit. Ah Brutus! es-tu né pour servir sous un Ma?tre? La liberté n'est plus.
BRUTUS.
Elle est prête à rena?tre.
CASSIUS.
Que dis-tu? Mais quel bruit vient frapper mes esprits?
BRUTUS.
Laisse-là ce vil peuple, & ses indignes cris.
CASSIUS.
La liberté, dis-tu?... Mais quoi... le bruit redouble.
SCENE IV.
BRUTUS, CASSIUS, CIMBER, DECIMUS.
CASSIUS.
Ah! Cimber, est-ce toi? parle, quel est ce trouble?
DECIMUS.
Trame-t-on contre Rome un nouvel attentat? Qu'a-t-on fait? qu'as-tu v??
CIMBER.
La honte de l'Etat. Cesar était au Temple, & cette fière idole Semblait être le Dieu qui tonne au Capitole. C'est là qu'il annon?ait son superbe dessein, D'aller joindre la Perse à l'Empire Romain. On lui donnait les noms de foudre de la guerre, De vengeur des Romains, de vainqueur de la Terre; Mais parmi tant d'éclat, son orgueil imprudent Voulait un autre titre & n'était pas content. Enfin parmi ces cris, & ces chants d'allégresse, Du peuple qui l'entoure Antoine fend la presse, Il entre: ? honte! ? crime indigne d'un Romain! Il entre, la Couronne, & le Sceptre à la main. On se tait: on frémit: lui, sans que rien l'étonne, Sur le front de Cesar attache la Couronne; Et soudain devant lui se mettant à genoux, Cesar, règne, dit-il, sur la Terre & sur nous; Des Romains à ces mots les visages palissent; De leurs cris douloureux les vo?tes retentissent. J'ai vu des Citoyens s'enfuir avec horreur, D'autres rougir de honte & pleurer de douleur. Cesar, qui cependant lisait sur son visage De l'indignation l'éclatant témoignage,
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