La mort de César | Page 4

Voltaire
Romain, la voix de ma patrie Me parle malgré moi contre ma tyrannie; Et que la liberté que je viens d'opprimer, Plus forte encor que moi, me condamne à l'aimer. Te dirai-j encor plus? Si Brutus me doit l'être, S'il est fils de Cesar, il doit ha?r un Ma?tre. J'ai pensé comme lui, dès mes plus jeunes ans; J'ai détesté Sylla, j'ai ha? les Tyrans. J'eusse été Citoyen, si l'orgueilleux Pompée N'eut voulu m'opprimer sous sa gloire usurpée. Né fier, ambitieux, mais né pour les vertus, Si je n'étais Cesar, j'aurais été Brutus. Tout homme à son état doit plier son courage. Brutus tiendra bient?t un différent langage, Quand il aura connu de quel sang il est né. Croi-moi, le Diadème à son front destiné, Adoucira dans lui sa rudesse importune; Il changera de moeurs, en changeant de fortune. La nature, le sang, mes bienfaits, tes avis, Le devoir, l'intérêt, tout me rendra mon fils.
ANTOINE.
J'en doute. Je connais sa fermeté farouche: La secte dont il est n'admet rien qui la touche. Cette secte intraitable, & qui fait vanité, D'endurcir les esprits contre l'humanité, Qui dompte & foule aux pieds la Nature irritée, Parle seule à Brutus, & seule est écoutée. Ces préjugés affreux, qu'ils appellent devoir, Ont sur ces coeurs de bronze un absolu pouvoir. Caton même, Caton, ce malheureux Sto?que, Ce Héros forcené, la victime d'Utique, Qui fuyant un pardon qui l'e?t humilié, Préféra la mort même à ta tendre amitié; Caton fut moins altier, moins dur, & moins à craindre, Que l'ingrat qu'à t'aimer ta bonté veut contraindre.
CESAR
Cher ami, de quels coups tu viens de me frapper! Que m'as-tu dit?
ANTOINE.
Je t'aime, & ne te puis tromper.
CESAR.
Le tems amollit tout.
ANTOINE.
Mon coeur en désespère.
CESAR.
Quoi, sa haine!...
ANTOINE.
Croi-moi.
CESAR.
N'importe; je suis père. J'ai chéri, j'ai sauvé mes plus grands ennemis: Je veux me faire aimer de Rome & de mon fils; Et conquérant des coeurs vaincus par ma clémence, Voir la Terre & Brutus adorer ma puissance. C'eft à toi de m'aider dans de si grands desseins: Tu m'a prêté ton bras, pour dompter les humains; Dompte aujourdhui Brutus, adouci son courage! Prépare par degrés cette vertu sauvage Au secret important qu'il lui faut révéler, Et dont mon coeur encor hésite à lui parler.
ANTOINE.
Je ferai tout pour toi; mais j'ai peu d'espérance.

SCENE II.
CESAR, ANTOINE, DOLABELLA.
DOLABELLA.
Cesar, les Sénateurs attendent audience; A ton ordre suprême il se rendent ici.
CESAR.
Ils ont tardé long-tems,... Qu'ils entrent.
ANTOINE.
Les voici. Que je lis sur leur front de dépit & de haine!

SCENE III.
CESAR, ANTOINE, BRUTUS, CASSIUS, CIMBER, DECIMUS, CINNA, CASCA, &c. Licteurs.
CESAR assis.
Venez, dignes soutiens de la grandeur Romaine, Compagnons de Cesar. Approchez, Cassius Cimber, Cinna, Décime, & toi mon cher Brutus. Enfin voici le tems, si le Ciel me seconde, Où je vais achever la conquête du Monde, Et voir dans l'Orient le Tr?ne de Cyrus Satisfaire, en tombant, aux manes de Crassus. Il est tems d'ajo?ter, par le droit de la guerre, Ce qui manque aux Romains des trois parts de la Terre. Tout est prêt, tout prév? pour ce vaste dessein: L'Euphrate attend Cesar, & je pars dès demain. Brutus & Cassius me suivront en Asie: Antoine retiendra la Gaule & l'Italie. De la Mer Atlantique, & des bords du Bétis, Cimber gouvernera les Rois assujettis. Je donne à Décimus la Grèce & la Lycie, A Marcellus le Pont, à Casca la Syrie. Ayant ainsi réglé le sort des Nations, Et laissant Rome heureuse & sans divisions, Il ne reste au Sénat, qu'à juger sous quel titre De Rome & des humains je dois être l'arbitre. Sylla fut honoré du nom de Dictateur, Marius fut Consul, & Pompée Empereur. J'ai vaincu le dernier; & c'est assez vous dire, Qu'il faut un nouveau nom pour un nouvel Empire; Un nom plus grand, plus saint, moins sujet aux revers, Autrefois craint dans Rome, & cher à l'Univers. Un bruit trop confirmé se répand sur la Terre, Qu'en vain Rome aux Persans ose faire la guerre; Qu'un Roi seul peut les vaincre & leur donner la loi: Cesar va l'entreprendre, & Cesar n'est pas Roi. Il n'est qu'un Citoyen fameux pour ses services, Qui peut du peuple encor essuyer les caprices... Romains, vous m'entendez, vous savez mon espoir, Songez à mes bienfaits, songez à mon pouvoir.
CIMBER.
Cesar, il faut parler. Ces Sceptres, ces Couronnes, Ce fruit de nos travaux, l'Univers que tu donnes, Seraient aux yeux du Peuple, & du Sénat jaloux, Un outrage à l'Etat, plus qu'un bienfait pour nous. Marius, ni Sylla, ni Carbon ni Pompée, dans leur autorité sur le peuple usurpée, N'ont jamais prétendu disposer à leur choix Des conquêtes de Rome, & nous parler en Rois. Cesar, nous attendions de ta clémence auguste Un don plus précieux, une faveur plus juste, Au-dessus des Etats donnés pas ta bonté...
CESAR.
Qu'oses-tu demander, Cimber?
CIMBER.
La liberté.
CASSIUS.
Tu nous l'avais promise; & tu juras
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