La mort de Brute et de Porcie | Page 7

Guyon Guérin de Bouscal
n'esteindra nos combats,

Que plustost on n'ait mis tous ces meurtriers abas.
Quand Rome
verseroit un Ocean de larmes,
Qu'un deüil perpetuel terniroit tous ces
charmes,
Et que ses Citoyens n'y sçauroient plus rien voir,
Que de
tristes objets couverts d'un crespe noir,
Ce seroit laschement honorer
la memoire
De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire,
Qui
maintenoit la paix dans un si vaste corps,
Et parmy les plus grands
des merveilleux accords.
En vain nos conjurez vantans la Republique,

Taxent la Royauté d'un pouvoir tyrannique.
Il est vray qu'un Estat
qui se veut agrandir
Contre la Royauté, se doit toujours roidir:
Mais
lors qu'il ne peut plus estendre son Empire,
Il faut qu'à ce bon-heur
tout son effort aspire,
Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir,

Et contenir les grands aux termes du devoir.
Que si l'ambition dans
son impatiance
Par un ingrat effort foule cette puissance,
Dés
l'heure il est perdu, son bras devient perclus,
Et cessant d'obeïr, il ne
commande plus.
Nostre Rome à ce point avoit besoin d'un Maistre

Et les evenemens nous le font bien connoistre,
Les peuples rebellez
depuis cét attentat
Démembrent tous les jours les biens de son Estat:

Et comme nos desirs, nos forces divisees,
Leur rendent contre nous

les victoires aisees!
Ha! Brute desloyal, qu'avec peu de raison
Tu
fondas le projet de cette trahison:
Tu devois dire au moins la cause de
ta plainte,
La bonté de Cæsar l'auroit bien-tost esteinte,
Et ton
ressentiment eust esté satisfait,
Sans faire voir au jour un si semblable
effet,
Tu pouvois disposer de toute sa puissance,
Il n'eust jamais
pour toy que de la complaisance;
Mesme jusqu'à ce point, qu'apres
mille forfaits
On te pouvoit nommer l'objet de ses biens-faits:
Et tu
meurtris encor ce Prince debonnaire,
Qui t'appelant son fils, se
monstroit plus que pere:
Et regarde couler ce beau sang sans effroy,

Alors que ton poignard en rougissoit pour toy.
O temps! ô meurs! ô
Dieux peu reverés dans Rome!
O crisme d'un Démon bien plûtost que
d'un homme!
Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort?
Cæsar
les a sauvez, il nous donnent la mort;
Semblables aux serpens qu'on
voit en la Libye,
Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie.
Ha
lasches! si le Ciel a quelque soin de nous,
Vous sçaurez ce que peut
sa haine & mon courroux.
Il n'a point fait de loy contre l'ingratitude,

Car la punition n'en peut estre assez rude:
Mais pourtant je feray
par mes inventions
Un juste chastiment de cent punitions.
Jamais
les Dieux n'ont veu vengeance plus entiere,
Ma fureur s'esteindra plus
tard que la matiere;
Les Manes de Cæsar en seront satisfaits,
Mais il
est déja temps de passer aux effets.
Sus donc, braves Romains, chers
enfans de Bellonne,
Si vous voulez gagner l'honneur d'une Couronne,

Secondez mon dessein, qui juste autant que beau,
Mesme apres
nostre mort, nous sauve du tombeau.
I. CHEF.
Nous n'avons pas plûtost resolu de vous suivre
Que de venger Cæsar
ou de cesser de vivre,
Ainsi ne craignez pas qu'on ne juge aujourd'huy

Qu'encore apres sa mort nous combatons pour luy.
II. CHEF.
Les effets feront voir aux despens de ma vie,
Que mon coeur à ce

bras inspire mesme envie,
Cæsar merite bien de voir venger ses coups,

Et qu'on meure pour luy, puis qu'il est mort pour nous.
III. CHEF.
Brave & vaillant Cæsar, dont la mort avancée
Ne m'entretient jamais
sans blesser ma pensée;
Tu connoistras bien-tost le dessein que j'ay
fait,
D'affronter les dangers pour te voir satisfait.
MARC-ANTHOINE.
Mon coeur apres cela ne voit rien qu'il ne brave.
SCENE II.
MARC-ANTHOINE, le Medecin d'Octave.
MARC ANTHOINE.
Mais que voudroit de nous le Medecin d'Octave,
Son mal depuis hier
seroit-il augmenté?
UN DE LA SUITE D'ANTHOINE.
Je viens de le quiter en meilleure santé.
LE MEDECIN.
Si quelque bon succez nourrit ton esperance,
Change la desormais en
parfaite asseurance,
Je te viens anoncer de la part des Destins,
Que
les Dieux sont pour nous, & contre ses mutins.
Pendant l'obscurité de
la nuict precedente
Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente,

Attendant doucement qu'un sommeil gracieux
M'eust ouvert le repos
en me fermant les yeux,
Quand tout à coup l'esclat d'une grande
lumiere
A brillé dans ma tante, & frapé ma paupiere,
Pour en
depeindre icy les plus petits rayons,
Je n'ay dans mes discours que des
foibles crayons;
Il suffit que les feus les plus beaux de la terre,
Les

esclairs lumineux qui partent du Tonnerre,
Le Celeste flambeau qui
donne la clarté,
Au pris de celle-la ne sont qu'obscurité;
Je n'ay pas
plûtost veu cette flamme impreveuë,
Que j'ai senty mourir l'usage de
la veuë,
Ma langue s'est noüée, & tous mes sens perclus
Ont
exprimé l'estat d'un homme qui n'est plus:
Mon esprit toutefois
exempt de cette crainte
Au milieu des rayons, dont ma tante estoit
peinte,
A veu la Majesté d'une troupe de Dieux,
Et conneu par ces
mots, comme l'on parle aux Cieux,
«Amis du grand Cæsar vos
victoires sont prestes,
Le Ciel est sur le point de couronner vos testes,

Et redonner la vie à l'Empire Romain,
Cependant leur Decrets qui
n'ont rien que de grave
Pour destourner les maux qui menassent
Octave,
Veulent qu'au Camp d'Anthoine on le porte demain.»
La fin
de ce discours a chassé ces lumieres,
Et remis dans mes sens leurs
faussetez premieres,
Leur laissant toutefois quelque
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