ne me plaindray pas.
PORCIE.
Quand Rome reprendroit cette grande puissance
Qui rangea l'Univers
sous son obeïssance,
Si nous devions ce bien à la fin de tes jours,
Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours.
Ne me commande
pas de conserver la vie,
Si nostre malheur veut qu'elle te soit ravie,
Icy l'obeïssance excede mon pouvoir,
Et la necessité m'enseigne mon
devoir;
Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire,
Soit pour
me delivrer des mains de l'adversaire,
Soit pour ne faire pas un
prodige nouveau,
Laissant durer un corps dont l'ame est au tombeau,
Ou bien pour te monstrer que cessant d'estre libre,
La fille de Caton
perd le pouvoir de vivre.
BRUTE.
Tant de rares vertus auroit bien merité
Dans un siecle plus doux un
sort plus arresté;
Si la raison sçavoit balancer toutes choses,
Jamais
aucun soucy n'eust approché tes roses,
Et toujours les douceurs de
mille doux plaisirs
Eussent charmé tes sens, & passé tes desirs;
J'espere toutefois qu'une bonté supreme
Reserve à nos travaux cette
faveur extreme,
Qu'un jour victorieux & triomphans des Rois,
Rome nous nommera protecteurs de ses lois,
Alors tous nos malheurs
auront trouvé leur terme,
Alors nostre repos n'aura rien que de ferme,
Alors ne craignant plus pour nostre commun bien,
Jamais mon
sentiment ne choquera le tien,
Alors les Dieux benins, pour nous
combler de joye,
Ne feront à nos jours qu'une trame de soye,
Et
quand leur providence en coupera le cours,
Nos noms & nos vertus
demeureront tousjours.
Cependant, mon cher coeur, permets que je
m'en aille
Disposer mes soldats à donner la bataille,
L'heure me
presse, adieu.
PORCIE.
Va donc, mon cher soucy,
Certain que si tu meurs je veux mourir
aussi.
SCENE VI.
PORCIE, sa Compagne.
PORCIE.
Donques les bras croisez en ce malheur extresme
Je me voy sans
rougir differente à moy mesme?
Doncques ma lascheté m'oste le
souvenir
Que Brute ce heros vient de m'entretenir!
Arrestez-vous
mes pleurs, son adorable image
Vient defendre à mes yeux de vous
donner passage,
Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy,
Cedez à la vertu qui vous bannit d'icy,
Mais non, n'escoutez pas ma
requeste importune,
La vertu se plaindroit en pareille fortune.
Je
voy tout ce que j'ayme en danger aujourd'huy,
Brute & la liberté qui
ne vit plus qu'en luy;
Toutesfois banissons ce mouvement de femme,
Ma naissance suffit pour instruire mon ame,
En vain irois-je
ailleurs rechercher un patron,
C'est assez que je suis la fille de Caton,
Sus donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles
Que je brusle
d'ardeur de combattre pour elles,
Et qu'avec son portraict mon pere a
mis en moy
Un desir violent de n'avoir point de Roy;
Monstrons
que dans le choc des plus rudes alarmes
Je sçay verser du sang aussi
bien que des larmes,
Allons braver la mort au camp des ennemis,
Et
vengeons aujourd'huy les maux qu'ils ont commis:
Il ne m'importe
point d'obtenir la victoire,
Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de
gloire
Pourveu que combattant pour le peuple Romain
Je meure
comme Brute une espée à la main:
Toy ne traverse point ce conseil
salutaire,
Aussi seroit-ce en vain qu'on m'en voudroit distraire,
Il est
grand, il est juste, & selon la saison.
LA COMPAGNE.
Mais vous ne dites pas qu'il choque la raison,
Madame, moderez cette
boüillante rage,
Pour mieux voir le danger où vostre esprit s'engage:
Quoy! sommes-nous tombez en de si foibles mains,
Que vous
n'esperiez rien du salut des Romains?
Brute auroit-il perdu son
courage heroïque?
Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique?
Non, il est toujours Brute, & comme ses parens,
Il ne s'arme jamais
sans chasser des Tyrans;
J'espere quand à moy qu'il aura la victoire,
Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire?
Et si l'executant
vous rencontriez la mort,
N'auroit-il pas sujet de blasmer vostre
effort?
PORCIE.
On peut bien sans mourir suivre cette entreprise.
LA COMPAGNE.
Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise,
Que tout fut en butin
aux Tyrans inhumains,
Quel regret auriez-vous de vous voir en leur
mains?
Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée,
D'estre
dans vostre ville en triomphe menée?
Le penser seulement me fait
trembler d'horreur,
Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur,
Madame & si le Ciel vous donne du courage,
Tesmoignez-en la force
à brider vostre rage:
Endurez sans vous plaindre, & que jamais vos
pleurs,
Ny vostre desespoir m'expriment vos douleurs:
C'est la lice
d'honneur où la vertu s'espreuve,
Et le port plus certain où le repos se
treuve:
Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd'huy,
Vous
aurez plus de droict de vous plaindre de luy.
PORCIE.
En fin à tes raisons ma fureur diminuë,
Comme aux rais du Soleil
l'espesseur d'une nuë,
Je me laisse emporter à tout ce que tu veux,
Allons à Jupiter faire offre de nos voeux:
Et si nous le trouvons encor
inexorable
A soulager les maux d'un peuple miserable
Je sçay
depuis long-temps quel sera mon devoir,
Mais qu'un courroux sied
mal lors qu'il est sans pouvoir!
ACTE SECOND.
SCENE PREMIERE.
MARC ANTHOINE, LUCILLE, & deux de ses Chefs.
MARC ANTHOINE.
Puis que c'est aujourd'huy qu'un destin favorable,
Nous promet de
venger ce crime detestable,
La mort du grand Cæsar, le Phoenix des
guerriers,
Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers,
Monstrons à ce Heros dans sa beatitude,
Que nous voulons mourir
exempts d'ingratitude,
Et que jamais la paix
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