La mort de Brute et de Porcie | Page 5

Guyon Guérin de Bouscal
si beau dessein mon ame interessée,
Par ton ressentiment
explique ma pensée,
Tes desirs sont les miens, & celuy d'estre Roy

M'a toujours fait horreur aussi bien comme à toy;
Je ne le puis
souffrir, Nature la premiere
M'inspira cette haine avecque la lumiere,

Ma raison la receut, & depuis nos sermens
En ont authorisé les
justes mouvemens:
Mais je ne sçay pourtant si cette impatience

D'aller voir l'ennemy, n'a point de l'imprudence,
Et si precipitant le

dessein du combat,
Nous ne reculons point le bien de nostre Estat.
BRUTE.
Rome que ces meurtriers remplissent de carnage,
Nous demande
secours, parle à nostre courage,
Et nous pouvons bien voir aux
plaintes qu'elle fait,
Que le retardement le rendroit sans effet:
Ne le
differons plus, secondons son attente,
Ranimons aujourd'huy la
liberté mourante,
Redonnons au païs la vigueur de ses lois,
Secourir
promptement, c'est secourir deux fois.
CASSIE.
Ta resolution si digne de loüange
Fait que contre mon coeur, ma
volonté se range;
Combattons donc, cher Brute, & dans le Champ de
Mars,
Aussi bien qu'au Senat, poignardons des Cæsars.
BRUTE.
Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre,
Que je cherche
à mourir pour n'avoir point de Maistre
CASSIE.
Et les miens feront voir, quoy qu'il faille tenter,
Que ce bras n'est
armé qu'afin de l'éviter.
BRUTE.
Adieu donc, l'heure presse, il faut que je m'en aille
Minuter en repos
l'ordre de la bataille.
SCENE III.
CASSIE, TITINE.
CASSIE.

C'est bien contre mon coeur qu'avec si peu de mains,
Nous allons
hazarder le salut des Romains:
Mais Brute en ses discours, a je ne
sçay quels charmes,
Qui forcent la raison à luy rendre les armes;
Je
consens au combat malgré mon sentiment,
Et je crains la rigueur d'un
triste evenement.
TITINE.
Les Dieux seront pour nous, s'ils sont pour la Justice,
Leur bonté ne
sçauroit favoriser le vice,
Et j'espere aujourd'huy que tous nos
differens
Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans.
CASSIE.
La cause la plus juste est bien souvent trompée,
Et j'en prens à
tesmoin la perte de Pompée.
Ce n'est pas que mon coeur se forme de
soupçons
Que nous n'obtiendrons pas ce que nous pourchassons;

Mais alors qu'il s'agit de l'Empire de Rome,
Il est bien mal-aisé de ne
point parestre homme,
Et dans l'Estat flotant de nostre liberté,

L'asseurance me semble une stupidité.
TITINE.
Pompée avoit pour but d'assujettir l'Empire,
Et ce mauvais dessein
luy fit avoir du pire.
CASSIE.
On ne l'a jamais sceu que par presomption.
TITINE.
Les Dieux dedans son coeur lisoient sa passion,
Rien ne se peut
cacher à ces grandes lumieres.
CASSIE.

C'est assez disputé sur ces vaines matieres,
Il est temps de songer que
nous devons ce jour
Faire voir des effets & de haine & d'amour.
SCENE IV.
BRUTE, son mauvais Genie.
BRUTE.
J'auray la pointe droite, & ma Cavalerie
Essuyera des traits la
premiere furie,
Massala la doit suivre avec un peloton,
Qui sera
soûtenu par celuy de Straton:
Et pour perdre en un jour tyrans &
tyrannie;
Mais qu'est-ce que je voy?
LE GENIE.
C'est ton mauvais Genie.
Qui te vient advertir que dans fort peu de
temps
Tu le pourras revoir parmy les combatans.
BRUTE.
Hé bien, nous t'y verrons, je veux combatre Octave,
Et faire d'un Roy
feint un veritable esclave;
Cassie aura la gauche, & le soin d'ordonner

Comme on s'y conduira quand il faudra donner.
Mais déja le Soleil
vient esclairer la terre
Pour commancer le jour qui doit finir la guerre;

Allons voir nos Soldats, & mettre dans leurs coeurs
Le desir de
mourir ou de vivre vainqueurs.
SCENE V.
PORCIE, BRUTE.
PORCIE.
Tu vas donc au combat?
BRUTE.

La liberté m'appelle,
Et je serois content de m'immoler pour elle,
Si
je pouvois sçavoir ma Porcie en repos,
Loin des troubles que Mars
PORCIE.
Brise là ce propos,
Il choque ma vertu qui seroit offensee
S'il estoit
aprouvé d'une seule pensee;
Quoy! Brute doute encor que mon
affection
Ne soit pas au degré de la perfection:
Du repos loin de luy,
sans qui mesme la vie
Ne sçauroit me durer que contre mon envie.

Ha! c'est trop, & ce coup me touche plus le coeur.
Que la crainte de
voir nostre ennemy vainqueur.
La fille de Caton nasquit parmy les
armes,
Les horreurs des combats ont pour elle des charmes;
Et son
repos s'y treuve ainsi qu'en tous les lieux,
Où Brute luy paroist
favorisé des Dieux.
Que le Ciel conjuré se range pour Octave,
Que
le peuple Romain demande d'estre esclave,
Que par ces changemens
l'espoir te soit osté,
De restablir jamais l'antique liberté.
Qu'apres
estre bannis de nostre chere terre,
Tout l'Empire assemblé nous
declare la guerre,
Et que tous les malheurs accompagnent nos pas,

Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas.
BRUTE.
Que percé de cent coups au milieu des batailles,
Le vainqueur
insolent m'arrache les entrailles;
Si tu vis pour chanter l'honneur de
mon trespas,
Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas.
PORCIE.
Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes
Portent au plus haut
point leur rigueur & mes peines;
Si je puis par ma mort t'exempter du
trespas,
J'en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas.
BRUTE.
Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre,
Avecque ton repos

celuy de nostre terre,
Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas,

Je seray satisfait, &
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