20
septembre 1712, p. 687; Théod., p. 607b, 357 et 620a, 403; Monadol., p.
711b, 78.]
La seule raison qu'il soit permis d'opposer à la théorie de l'infinité
actuelle, c'est son impossibilité[59]. Et cette raison n'est que fictive;
elle tient, comme la négation de la substance, à une sorte de
malentendu. Sans doute, si l'on commence par se figurer l'univers
comme formant «un tout», c'est-à-dire comme représentant une somme
déterminée, il faut bien alors qu'il contienne un nombre fini d'éléments
premiers. Car il est contradictoire qu'une somme donnée, soit dans la
réalité, soit seulement dans l'esprit, n'enveloppe pas un dernier terme.
Mais poser ainsi le problème, c'est en changer le sens pour le résoudre.
La conclusion qui dérive et du principe de raison suffisante et de la
perfection divine et de l'essence même de la monade, c'est que le
monde ne forme pas plus «un tout» qu'un «nombre infini dont on ne
saurait dire s'il est pair ou impair[60]». Et dès lors, quel obstacle
logique peut-il y avoir à ce que la multitude de ses éléments soit
supérieure à tout nombre donné, à ce qu'il comprenne toujours plus
d'unités actuelles «qu'on n'en peut assigner»? Quelle antinomie à ce que
l'arithmétique ne puisse fournir l'expression adéquate de la réalité
métaphysique? Or cette aptitude de l'univers à ne point se laisser
emprisonner dans nos calculs, si loin que nous les poussions, c'est là
précisément ce qui constitue son infinité[61].
[Note 59: LEIBNIZ, Lettre XXI au P. des Bosses, p. 687a.]
[Note 60: LEIBNIZ, Lettre II au P. des Bosses, 435b-436a.]
[Note 61: LEIBNIZ, N. Essais, p. 244a-244b.]
Au fond, Leibniz raisonne ici comme Descartes[62] et Spinoza[63]; si
l'infini paraît contradictoire, c'est qu'on le prend dès le début comme
une quantité finie. Il ajoute d'ailleurs une considération d'un autre ordre
et qui s'adresse principalement aux théologiens. «On ne peut nier, dit-il,
que les essences de tous les nombres possibles _soient données en fait_,
au moins dans l'intelligence divine, et que par là même la multitude des
nombres constitue un véritable infini[64].» C'est donc bien que le
concept d'une série illimitée n'a rien qui répugne aux lois de la raison,
et qu'en conséquence sa réalisation n'y répugne pas non plus.
[Note 62: Lettres au R. P. Mersenne, 15 avril 1630, Ed. Cousin.]
[Note 63: Lettre XV, t. III, Ed. Charpentier, Paris.]
[Note 64: LEIBNIZ, Lettre II au P. des Bosses, p. 435b-436a.]
C) Communication des substances.--Il n'existe aucune _influence
dynamique_ entre les monades. Absolument fermées et dépourvues de
surfaces, piquées en quelque sorte dans le vide infini, comme des
étoiles qui n'auraient de la lumière et de la grandeur qu'au dedans, les
monades demeurent incapables par nature et d'agir au dehors et d'en
recevoir une action quelconque. Par là même aussi, les monades n'ont
aucune influence dynamique sur les corps, tels qu'ils existent en soi,
indépendamment de toute pensée. Car les corps envisagés de ce point
de vue ne sont eux-mêmes que des agrégats de monades.
Et cette dernière conclusion ne se fonde pas seulement sur la
métaphysique; on en trouve également la preuve dans les principes de
la mécanique.
«M. Descartes, dit Leibniz, a voulu capituler et faire dépendre de l'âme
une partie de l'action du corps. Il croyait savoir une règle de la nature,
qui porte, selon lui, que la même quantité de mouvement se conserve
dans les corps. Il n'a pas jugé possible que l'influence de l'âme violât
cette loi des corps; mais il a cru que l'âme pourrait pourtant avoir le
pouvoir de changer la direction des mouvements qui se font dans le
corps; à peu près comme un cavalier, quoiqu'il ne donne point de force
au cheval qu'il monte, ne laisse pas de le gouverner en dirigeant cette
force du côté que bon lui semble[65].» Mais «on a découvert deux
vérités importantes sur ce sujet, depuis M. Descartes: la première est
que la quantité de la force absolue qui se conserve, en effet, est
différente de la quantité de mouvement, comme je l'ai démontré
ailleurs»: ce qu'il y a de permanent dans l'univers, ce n'est pas mv, le
produit de la masse par la vitesse; mais mv2, le produit de la masse par
le carré de la vitesse. «La seconde découverte est qu'il se conserve
encore la même direction dans tous les corps ensemble qu'on suppose
agir entre eux, de quelque manière qu'ils se choquent[66].» «Il existe
toujours la même direction totale dans la matière[67].» Et de là deux
corollaires qui modifient la conception trop aprioriste de Descartes.
Changer la direction d'un mouvement, c'est produire un surplus de
force vive. Or la chose est impossible, puisque la quantité de force vive
ne change pas. De plus, changer la direction d'un mouvement, c'est
influer sur la direction totale des corps. Et cela ne se peut pas davantage,
vu que cette direction ne souffre
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.