La maison de Claudine | Page 8

Colette
mariage de ma soeur, elle n'avait plus son compte d'enfants. Et puis, je ne sais quelle histoire de jeune fille enlev��e, s��questr��e, illustrait la premi��re page des journaux. Un chemineau, ��conduit �� la nuit tombante par notre cuisini��re, refusait de s'��loigner, glissait son gourdin entre les battants de la porte d'entr��e, jusqu'�� l'arriv��e de mon p��re... Enfin des romanichels, rencontr��s sur la route, m'avaient offert, avec d'��tincelants sourires et des regards de haine, de m'acheter mes cheveux, et M. Demange, ce vieux monsieur qui ne parlait �� personne, s'��tais permis de m'offrir des bonbons dans sa tabati��re.
-- Tout ?a n'est pas bien grave, assurait mon p��re.
-- Oh! toi... Pourvu qu'on ne trouble pas ta cigarette d'apr��s- d��jeuner et ta partie de dominos... Tu ne songes m��me pas qu'�� pr��sent la petite couche en haut, et qu'un ��tage, la salle �� manger, le corridor, le salon, la s��parent de ma chambre. J'en ai assez de trembler tout le temps pour mes filles. D��j�� l'a?n��e qui est partie avec ce monsieur...
-- Comment, partie?
-- Oui, enfin, mari��e. Mari��e ou pas mari��e, elle est tout de m��me partie avec un monsieur qu'elle conna?t �� peine.
Elle regardait mon p��re avec une suspicion tendre.
-- Car, enfin, toi, qu'est-ce que tu es pour moi? Tu n'es m��me pas mon parent...
Je me d��lectais, aux repas, de r��cits �� mots couverts, de ce langage, employ�� par les parents, o�� le vocable herm��tique remplace le terme vulgaire, o�� la moue significative et le ?hum? th��atral appellent et soutiennent l'attention des enfants.
-- �� Gand, dans ma jeunesse, racontait ma m��re, une de nos amies, qui n'avait que seize ans, a ��t�� enlev��e... Mais parfaitement! Et dans une voiture �� deux chevaux encore. Le lendemain... hum!... Naturellement, il ne pouvait plus ��tre question de la rendre �� sa famille. Il y a des... comment dirai-je? des effractions que... Enfin ils se sont mari��s. Il fallait bien en venir l��.
?Il fallait bien en venir l��!?
Imprudente parole... Une petite gravure ancienne, dans l'ombre du corridor, m'int��ressa soudain. Elle repr��sentait une chaise de poste, attel��e de deux chevaux ��tranges �� cous de chim��res. Devant la porti��re b��ante, un jeune homme habill�� de taffetas portait d'un seul bras, avec la plus grande facilit��, une jeune fille renvers��e dont la petite bouche ouverte en O, les jupes en corolle chiffonn��e autour de deux jambes aimables, s'effor?aient d'exprimer l'��pouvante. ?_L'Enl��vement!_? Ma songerie, innocente, caressa le mot et l'image...
Une nuit de vent, pendant que battaient les portillons mal attach��s de la basse-cour, que ronflait au-dessus de moi le grenier, balay�� d'ouest en est par les rafales qui, courant sous les bords des ardoises mal jointes, jouaient des airs cristallins d'harmonica, je dormais, bien rompue par un jeudi pass�� aux champs �� gauler les chataignes et f��ter le cidre nouveau. R��vai- je que ma porte grin?ait? Tant de gonds, tant de girouettes g��missaient alentour... Deux bras, singuli��rement experts �� soulever un corps endormi, ceignirent ici mes reins, ici ma nuque, pressant en m��me temps autour de moi la couverture et le drap. Ma joue per?ut l'air plus froid de l'escalier; un pas assourdi, lourd, descendit lentement, et chaque pas me ber?ait d'une secousse molle. M'��veillai-je tout �� fait? J'en doute. Le songe seul peut, emportant d'un coup d'aile une petite fille par del�� son enfance, la d��poser, ni surprise, ni r��volt��e, en pleine adolescence hypocrite et aventureuse. Le songe seul ��panouit dans une enfant tendre l'ingrate qu'elle sera demain, la fourbe complice du passant, l'oublieuse qui quittera la maison maternelle sans tourner la t��te... Telle je partais, pour le pays o�� la chaise de poste, sonnante de grelots de bronze, arr��te devant l'��glise un jeune homme de taffetas et une jeune fille pareille, dans le d��sordre de ses jupes, �� une rose au pillage... Je ne criai pas. Les deux bras m'��taient si doux, soucieux de m'��treindre assez, de garer, au passage des portes, mes pieds ballants... Un rythme familier, vraiment, m'endormait entre ces bras ravisseurs...
Au jour lev��, je ne reconnus pas ma soupente ancienne, encombr��e maintenant d'��chelles et de meubles boiteux, o�� ma m��re en peine m'avait port��e, nuitamment, comme une m��re chatte qui d��place en secret le g?te de son petit. Fatigu��e, elle dormait, et ne s'��veilla que quand je jetai, aux murs de ma logette oubli��e, mon cri per?ant:
-- Mamaan! viens vite! Je suis enlev��e!
LE CUR�� SUR LE MUR
-- �� quoi penses-tu, Bel-Gazou?
-- �� rien, maman.
C'est bien r��pondu. Je ne r��pondais pas autrement quand j'avais son age, et que je m'appelais comme s'appelle ma fille dans l'intimit��, Bel-Gazou. D'o�� vient ce nom, et pourquoi mon p��re me le donna-t-il? Il est sans doute patois et proven?al -- beau gazouillis, beau langage -- mais il ne d��parerait pas le h��ros ou l'h��ro?ne d'un conte persan...
?�� rien, maman.? Il n'est pas mauvais que les enfants remettent de temps en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 48
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.