mariage de ma soeur, elle n'avait plus son compte d'enfants. Et puis, je ne sais quelle histoire de jeune fille enlev��e, s��questr��e, illustrait la premi��re page des journaux. Un chemineau, ��conduit �� la nuit tombante par notre cuisini��re, refusait de s'��loigner, glissait son gourdin entre les battants de la porte d'entr��e, jusqu'�� l'arriv��e de mon p��re... Enfin des romanichels, rencontr��s sur la route, m'avaient offert, avec d'��tincelants sourires et des regards de haine, de m'acheter mes cheveux, et M. Demange, ce vieux monsieur qui ne parlait �� personne, s'��tais permis de m'offrir des bonbons dans sa tabati��re.
-- Tout ?a n'est pas bien grave, assurait mon p��re.
-- Oh! toi... Pourvu qu'on ne trouble pas ta cigarette d'apr��s- d��jeuner et ta partie de dominos... Tu ne songes m��me pas qu'�� pr��sent la petite couche en haut, et qu'un ��tage, la salle �� manger, le corridor, le salon, la s��parent de ma chambre. J'en ai assez de trembler tout le temps pour mes filles. D��j�� l'a?n��e qui est partie avec ce monsieur...
-- Comment, partie?
-- Oui, enfin, mari��e. Mari��e ou pas mari��e, elle est tout de m��me partie avec un monsieur qu'elle conna?t �� peine.
Elle regardait mon p��re avec une suspicion tendre.
-- Car, enfin, toi, qu'est-ce que tu es pour moi? Tu n'es m��me pas mon parent...
Je me d��lectais, aux repas, de r��cits �� mots couverts, de ce langage, employ�� par les parents, o�� le vocable herm��tique remplace le terme vulgaire, o�� la moue significative et le ?hum? th��atral appellent et soutiennent l'attention des enfants.
-- �� Gand, dans ma jeunesse, racontait ma m��re, une de nos amies, qui n'avait que seize ans, a ��t�� enlev��e... Mais parfaitement! Et dans une voiture �� deux chevaux encore. Le lendemain... hum!... Naturellement, il ne pouvait plus ��tre question de la rendre �� sa famille. Il y a des... comment dirai-je? des effractions que... Enfin ils se sont mari��s. Il fallait bien en venir l��.
?Il fallait bien en venir l��!?
Imprudente parole... Une petite gravure ancienne, dans l'ombre du corridor, m'int��ressa soudain. Elle repr��sentait une chaise de poste, attel��e de deux chevaux ��tranges �� cous de chim��res. Devant la porti��re b��ante, un jeune homme habill�� de taffetas portait d'un seul bras, avec la plus grande facilit��, une jeune fille renvers��e dont la petite bouche ouverte en O, les jupes en corolle chiffonn��e autour de deux jambes aimables, s'effor?aient d'exprimer l'��pouvante. ?_L'Enl��vement!_? Ma songerie, innocente, caressa le mot et l'image...
Une nuit de vent, pendant que battaient les portillons mal attach��s de la basse-cour, que ronflait au-dessus de moi le grenier, balay�� d'ouest en est par les rafales qui, courant sous les bords des ardoises mal jointes, jouaient des airs cristallins d'harmonica, je dormais, bien rompue par un jeudi pass�� aux champs �� gauler les chataignes et f��ter le cidre nouveau. R��vai- je que ma porte grin?ait? Tant de gonds, tant de girouettes g��missaient alentour... Deux bras, singuli��rement experts �� soulever un corps endormi, ceignirent ici mes reins, ici ma nuque, pressant en m��me temps autour de moi la couverture et le drap. Ma joue per?ut l'air plus froid de l'escalier; un pas assourdi, lourd, descendit lentement, et chaque pas me ber?ait d'une secousse molle. M'��veillai-je tout �� fait? J'en doute. Le songe seul peut, emportant d'un coup d'aile une petite fille par del�� son enfance, la d��poser, ni surprise, ni r��volt��e, en pleine adolescence hypocrite et aventureuse. Le songe seul ��panouit dans une enfant tendre l'ingrate qu'elle sera demain, la fourbe complice du passant, l'oublieuse qui quittera la maison maternelle sans tourner la t��te... Telle je partais, pour le pays o�� la chaise de poste, sonnante de grelots de bronze, arr��te devant l'��glise un jeune homme de taffetas et une jeune fille pareille, dans le d��sordre de ses jupes, �� une rose au pillage... Je ne criai pas. Les deux bras m'��taient si doux, soucieux de m'��treindre assez, de garer, au passage des portes, mes pieds ballants... Un rythme familier, vraiment, m'endormait entre ces bras ravisseurs...
Au jour lev��, je ne reconnus pas ma soupente ancienne, encombr��e maintenant d'��chelles et de meubles boiteux, o�� ma m��re en peine m'avait port��e, nuitamment, comme une m��re chatte qui d��place en secret le g?te de son petit. Fatigu��e, elle dormait, et ne s'��veilla que quand je jetai, aux murs de ma logette oubli��e, mon cri per?ant:
-- Mamaan! viens vite! Je suis enlev��e!
LE CUR�� SUR LE MUR
-- �� quoi penses-tu, Bel-Gazou?
-- �� rien, maman.
C'est bien r��pondu. Je ne r��pondais pas autrement quand j'avais son age, et que je m'appelais comme s'appelle ma fille dans l'intimit��, Bel-Gazou. D'o�� vient ce nom, et pourquoi mon p��re me le donna-t-il? Il est sans doute patois et proven?al -- beau gazouillis, beau langage -- mais il ne d��parerait pas le h��ros ou l'h��ro?ne d'un conte persan...
?�� rien, maman.? Il n'est pas mauvais que les enfants remettent de temps en
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