La maison de Claudine | Page 7

Colette
blouson bleu, au b��ret �� pompon.
-- Moi, je serai marin, et dans mes voyages...
Assise dans l'herbe, elle se repose et pense peu. Le voyage? L'aventure?... Pour une enfant qui franchit deux fois l'an les limites de son canton, au moment des grandes provisions d'hiver et de printemps, et gagne le chef-lieu en victoria, ces mots-l�� sont sans force et sans vertu. Ils n'��voquent que des pages imprim��es, des images en couleur. La Petite, fatigu��e, se r��p��te machinalement: ?Quand je ferai le tour du monde...? comme elle dirait: ?Quand j'irai gauler des chataignes...?
Un point rouge s'allume dans la maison, derri��re les vitres du salon, et la Petite tressaille. Tout ce qui, l'instant d'avant, ��tait verdure, devient bleu, autour de cette rouge flamme immobile. La main de l'enfant, tra?nante, per?oit dans l'herbe l'humidit�� du soir. C'est l'heure des lampes. Un clapotis d'eau courante m��le les feuilles, la porte du fenil se met �� battre le mur comme en hiver par la bourrasque. Le jardin, tout �� coup ennemi, rebrousse, autour d'une petite fille d��gris��e, ses feuilles froides de laurier, dresse ses sabres de yucca et ses chenilles d'araucaria barbel��es. Une grande voix marine g��mit du c?t�� de Moutiers o�� le vent, sans obstacle, court en ris��es sur la houle des bois. La Petite, dans l'herbe, tient ses yeux fix��s sur la lampe, qu'une br��ve ��clipse vient de voiler: une main a pass�� devant la flamme, une main qu'un d�� brillant coiffait. C'est cette main dont le geste suffit pour que la Petite, �� pr��sent, soit debout, palie, adoucie, un peu tremblante comme l'est une enfant qui cesse, pour la premi��re fois, d'��tre le gai petit vampire qui ��puise, inconscient, le coeur maternel; un peu tremblante de ressentir et d'avouer que cette main et cette flamme, et la t��te pench��e, soucieuse, aupr��s de la lampe, sont le centre et le secret d'o�� naissent et se propagent en zones de moins en moins sensibles, en cercles qu'atteint de moins en moins la lumi��re et la vibration essentielles, le salon ti��de, sa flore de branches coup��es et sa faune d'animaux paisibles; la maison sonore, s��che, craquante comme un pain chaud; le jardin, le village... Au-del��, tout est danger, tout est solitude...
Le ?marin?, �� petits pas, ��prouve la terre ferme, et gagne la maison en se d��tournant d'une lune jaune, ��norme, qui monte. L'aventure? Le voyage? L'orgueil qui fait les ��migrants?... Les yeux attach��s au d�� brillant, �� la main qui passe et repasse devant la lampe, Minet-Ch��ri go?te la contrition d��licieuse d'��tre -- pareille �� la petite horlog��re, �� la fillette de la ling��re et du boulanger -- une enfant de son village, hostile au colon comme au barbare, une de celles qui limitent leur univers �� la borne d'un champ, au portillon d'une boutique, au cirque de clart�� ��panoui sous une lampe et que traverse, tirant un fil, une main bien-aim��e, coiff��e d'un d�� d'argent.
L'ENL��VEMENT
-- Je ne peux plus vivre comme ?a, me dit ma m��re. J'ai encore r��v�� qu'on t'enlevait cette nuit. Trois fois je suis mont��e jusqu'�� ta porte. Et je n'ai pas dormi.
Je la regardai avec commis��ration, car elle avait l'air fatigu�� et inquiet. Et je me tus, car je ne connaissais pas de rem��de �� son souci.
-- C'est tout ce que ?a te fait, petite monstresse?
-- Dame, maman... Qu'est-ce que tu veux que je dise? Tu as l'air de m'en vouloir que ce ne soit qu'un r��ve.
Elle leva les bras au ciel, courut vers la porte, accrocha en passant le cordon de son pince-nez �� une clef de tiroir, puis le jaseron de son face-��-main au loquet de la porte, entra?na dans les mailles de son fichu le dossier pointu et gothique d'une chaise second Empire, retint la moiti�� d'une impr��cation et disparut apr��s un regard indign��, en murmurant:
-- Neuf ans!... Et me r��pondre de cette fa?on quand je parle de choses graves!
Le mariage de ma demi-soeur venait de me livrer sa chambre, la chambre du premier ��tage, ��toil��e de bleuets sur un fond blanc gris.
Quittant ma tani��re enfantine -- une ancienne logette de portier �� grosses poutres, carrel��e, suspendue au-dessus de l'entr��e coch��re et command��e par la chambre �� coucher de ma m��re -- je dormais, depuis un mois, dans ce lit que je n'avais os�� convoiter, ce lit dont les rosaces de fonte argent��e retenaient dans leur chute des rideaux de guipure blanche, doubl��s d'un bleu impitoyable. Ce placard-cabinet de toilette m'appartenait, et j'accoudais �� l'une ou l'autre fen��tre une m��lancolie, un d��dain tous deux feints, �� l'heure o�� les petites Blancvillain et les Trinitet passaient, mordant leur tartine de quatre heures, ��paissie de haricots rouges fig��s dans une sauce au vin. Je disais, �� tout propos:
-- Je monte �� ma chambre... C��line a laiss�� les persiennes de ma chambre ouvertes...
Bonheur menac��: ma m��re, inqui��te, r?dait. Depuis le
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