La main froide | Page 8

Fortuné Du Boisgobey
refuser d'y entrer, même par une porte secrète.
L'inconnue en était certainement et elle lui offrait d'emblée une sorte de
traité d'alliance.
Après l'amitié, l'amour viendrait peut-être et cette chance valait bien
qu'il acceptât le compromis qu'elle lui proposait.
Et pourtant sa réponse se fit attendre. Il lui en coûtait de décliner son
nom roturier à une femme qui connaissait à fond l'armorial du
Languedoc où figurait si brillamment l'aristocratique famille de
Mirande.

Il s'y décida cependant.
C'était le seul moyen de la revoir, puisqu'elle ne voulait pas lui dire le
sien.
--Je m'appelle Paul Cormier, dit-il brusquement, comme un homme qui
prend tout à coup son parti de subir une nécessité désagréable.
Et ne voulant pas faire les choses à demi, il ajouta:
--Je n'ai plus que ma mère qui n'habite pas avec moi. Je finis ma
dernière année de droit et je demeure rue Gay-Lussac, nº 9.
Vous voilà renseignée, Madame. Je ne vous demande pas de me rendre
la pareille.
--Je vous ai promis que plus tard vous sauriez tout. Je vous le promets
encore. En attendant que je puisse tenir ma promesse, vous vous
contenterez de me voir.
--Pas chez vous, je suppose?
--Ni chez vous, Monsieur, dit en souriant la mystérieuse blonde.
Je vous écrirai pour vous faire savoir où nous pourrons nous rencontrer.
Et vous ne croyez pas, je l'espère, que j'attends de vous d'autres
services que ceux qu'un galant homme peut, sans déchoir, rendre à une
honnête femme qui a recours à son obligeance, sinon à sa protection.
Ce langage ferme et net fit sur Paul une impression profonde.
Son consentement ne tenait plus qu'à un fil et s'il hésitait encore, c'est
qu'un point à éclaircir lui tenait au coeur.
--Eh! bien? demanda la dame; est-ce convenu?
--Oui... si...

--Quoi! il y a un: si!
--Ne vous fâchez pas de ce que je vais vous dire...
--C'est donc bien terrible?
--Non... c'est enfantin... Donnez-moi votre parole d'honneur que vous
n'aimez pas Jean de Mirande... que vous ne l'aimez pas... d'amour.
--Je vous la donne. Je n'ai pas d'amour pour lui et je n'en aurai jamais.
--Jamais, c'est beaucoup dire.
--Je ne puis pas l'aimer. Un jour je vous apprendrai pourquoi.
--C'est bien... je vous crois, dit gravement Paul Cormier. Je ferai tout ce
que vous voudrez.
--Merci, Monsieur!... à dater de cet instant vous pouvez compter sur
moi comme je compte sur vous... et avant de nous séparer...
--Déjà!...
--Il le faut. Nous approchons du rond-point et je vous prierai de
descendre un peu avant d'y arriver.
--Vous craignez qu'on ne nous voie ensemble?
--Probablement.
--Votre mari, n'est-ce pas?
--Prenez garde!... voilà que vous manquez à nos conventions!
--C'est juste. Je retire ma question... et je ne recommencerai plus. Mais
j'ai une grâce à vous demander... Je vais vous quitter et je ne sais quand
je vous reverrai, mais vous ne me défendez pas de penser à vous.
--Non certes.

--Eh! bien, quand j'y penserai, ne serez-vous jamais pour moi que
Madame X...? ne pourrai-je jamais rattacher ma pensée à un petit nom...
celui que vous choisirez, si vous tenez à me cacher le véritable?
--C'est enfantin, comme vous disiez tout à l'heure, répondit en riant la
belle inconnue; mais je ne veux pas vous refuser cette satisfaction.
Quand vous penserez à moi... eh! bien... pensez à Jacqueline.
--Jacqueline! murmura Paul qui trouvait ce nom charmant.
Je répéterai souvent: Jacqueline!... cela m'aidera à prendre patience
jusqu'au jour où vous voudrez bien vous souvenir de moi.
--Ne craignez pas que j'oublie, reprit vivement la dame. Mais le
moment est venu de nous quitter. Il ne me reste qu'à vous dire...
--Adieu?
--Non. Au revoir! faites arrêter le cocher, je vous prie.
Paul tourna le bouton d'avertissement et demanda:
--Vous gardez la voiture, Madame?
--Oui... je la quitterai un peu plus loin.
Paul comprit qu'elle attendait qu'il partît pour donner l'adresse de la
maison où elle allait.
Il ouvrit la portière et il descendit.
Il espérait que Jacqueline allait lui tendre la main, et il l'aurait baisée
avec enthousiasme cette main, gantée de Suède.
Il n'eut même pas le plaisir de la serrer, car dès qu'il fit le geste de la
prendre, elle se retira vivement.
Cette première déception n'était pas pour le mettre de bonne humeur.

Il s'était laissé enguirlander par les douces paroles de la dame et il
venait d'accepter les conditions bizarres qu'elle lui imposait.
Il n'eut pas plutôt pris pied sur la chaussée de la grande avenue des
Champs-Elysées qu'il changea de sentiment sur la soi-disant
Jacqueline.
Ce fut un revirement complet.
Dans la voiture, il la trouvait adorable; il croyait à ses serments et aux
histoires pleines de réticences qu'elle lui racontait.
Depuis qu'il avait touché terre, elle lui faisait l'effet d'une intrigante et il
ne se pardonnait pas de s'être laissé prendre à
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