La main froide | Page 7

Fortuné Du Boisgobey
très étonné.
--Oh! depuis bien des années. Sa famille est une des plus anciennes et
une des plus illustres du Languedoc.
Cormier pensa tristement que la sienne ne remontait pas si loin et que
sa notoriété ne s'était jamais étendue au-delà du quartier des Halles,
mais il ne laissa pas voir à la dame qu'elle venait de l'humilier, sans le
vouloir.
Il se contenta de répondre:
--Jean eût été bien fier, s'il avait su que, pour vous, il n'était pas le
premier venu. Pourquoi ne le lui avez-vous pas dit?
--Je n'avais garde... pour plusieurs raisons... la première, c'est qu'il
aurait fallu me nommer... Or, si j'ai entendu parler de lui, il n'a jamais
entendu parler de moi... Mon nom ne lui aurait rien appris... et d'ailleurs,
menant la vie qu'il mène, il doit se soucier fort peu de me connaître.

--Il mène la même vie que tous les étudiants... la même que moi.
--Permettez-moi, Monsieur, de n'en rien croire. Je vous regardais quand
vous avez rencontré sur la terrasse les demoiselles qui l'ont emmené...
et j'ai vu que vous avez refusé de les suivre.
--J'ai refusé, parce que je ne pensais qu'à vous.
--Vraiment?... alors, vous n'en avez que plus de mérite à ne pas vous
être conduit avec moi comme l'a fait M. de Mirande... mais, quel plaisir
peut-il prendre à s'entourer de ces créatures?
L'une d'elles est sa maîtresse, n'est-ce pas?
--Je devrais vous répondre que je n'en sais rien, mais je veux bien vous
dire la vérité... Jean n'a rien de commun avec le lierre... il ne s'attache
pas.
--Il n'y a que demi-mal.
--Alors, vous l'approuvez de n'aimer sérieusement aucune femme?
--Je ne dis pas cela, répliqua vivement la dame; je l'approuve de ne pas
aimer à tort et à travers, mais je ne désespère pas d'apprendre un jour
qu'il a trouvé enfin une femme digne de lui... et qu'il l'aime.
--C'est la grâce que je lui souhaite. Elle ne l'a pas encore touché et elle
pourra se faire attendre.
Maintenant, Madame, oserai-je vous demander en quoi sa conversion
vous intéresse?
Et comme elle ne paraissait pas disposée à répondre, Paul reprit:
--Je me permets de vous poser cette question parce que vous ne m'avez
encore parlé que de lui.
--N'êtes-vous pas son meilleur ami?

--Je le crois, mais avouez que je pousserais l'amitié jusqu'à l'abnégation
la plus invraisemblable, si je ne vous disais pas que je serais heureux de
vous plaire et que je m'étonne d'être appelé à l'honneur de vous fournir
des renseignements sur Jean de Mirande.
Vous auriez pu les lui demander à lui-même, au lieu de l'éconduire... et
je pourrais ajouter: pour qui me prenez-vous?
La dame rougit et ce fut d'un ton peiné qu'elle répondit:
--Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous ai offensé. J'avais cru, en
m'adressant à vous, que je pourrais, sans vous blesser, vous interroger
sur M. de Mirande... et je n'ai pas craint de tenter une démarche... que
j'espère ne pas avoir à regretter.
--Oh! protesta Paul Cormier, je n'abuserai pas de la situation.
Elle n'a cependant rien de flatteur ni d'agréable pour moi, convenez-en.
Me voilà réduit au rôle de confident... et encore!... jusqu'à présent vous
ne m'avez pas confié grand'chose...
J'espérais mieux et quand vous avez bien voulu m'inviter à monter dans
cette voiture, si j'avais pu prévoir qu'il ne serait question que de
Mirande et de sa famille...
--Ne vous repentez pas d'avoir fait une bonne action, interrompit la
blonde inconnue.
--Une bonne action, dites-vous?... voilà un bien gros mot!... je
n'aperçois pas encore quel service j'ai pu vous rendre.
--Un grand service... vous le reconnaîtrez plus tard et... pourquoi ne
l'avouerais-je pas?... je compte vous en demander d'autres...
--Je vous reverrai donc!
--Oui... si vous voulez me promettre de ne pas chercher à savoir qui je
suis...

--Voilà une condition un peu dure!
--Et de ne rien dire à votre ami.
--Il ne m'en coûtera guère d'être discret, mais... quelle sera ma
récompense, si je me soumets à l'autre condition?
--Fiez-vous-en à ma reconnaissance et comptez qu'un jour vous saurez
tout.
--Soit! j'accepte; mais comment vous reverrai-je? Vous ne m'avez pas
dit votre nom... je suppose que vous ne voulez pas me le dire... et vous
ne savez pas le mien.
--Il ne tient qu'à vous de me l'apprendre. Je m'en souviendrai, je vous le
jure.
Ce fut dit avec un accent de sincérité chaleureuse qui toucha Paul
Cormier, sans le convaincre tout à fait.
Il se défiait encore un peu des intentions de la dame et le rôle effacé
qu'elle semblait lui réserver ne le tentait guère. Mais elle était, comme a
écrit La Bruyère, si jeune, si belle et si sérieuse, qu'il se laissait aller à
la croire.
Il allait peut-être s'ouvrir pour lui ce grand monde qu'il rêvait et Paul
n'était pas homme à
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