La guerre et la paix, Tome II | Page 3

Leo Nikoleyevich Tolstoy
d'un flot de lumi��re. La nuit ��tait fra?che, calme et transparente; en face de la crois��e s'��levait une charmille, sombre d'un c?t��, ��clair��e et argent��e de l'autre; dans le bas, un fouillis de tiges et de feuilles ruisselait de gouttelettes ��tincelantes; plus loin, au del�� de la noire charmille, un toit brillait sous sa couche de ros��e; �� droite s'��tendaient les branches feuillues d'un grand arbre, dont la blanche ��corce miroitait aux rayons de la pleine lune qui voguait sur un ciel de printemps pur et �� peine ��toil��. Le prince Andr�� s'accouda sur le rebord de la fen��tre, et ses yeux se fix��rent sur le paysage. Il entendit alors, �� l'��tage sup��rieur, des voix de femmes.... On n'y dormait donc pas!
?Une seule fois encore, je t'en prie! dit une des voix, que le prince Andr�� reconnut aussit?t.
--Mais quand donc dormiras-tu? reprit une autre voix.
--Mais si je ne puis dormir, ce n'est pas de ma faute! Encore une fois...? Et ces deux voix murmur��rent �� l'unisson le refrain d'une romance.
?Dieu, que c'est beau! Eh bien, maintenant allons dormir.
--Va dormir, toi. Quant �� moi, ?a m'est impossible.?
On distinguait le l��ger fr?lement de la robe de celle qui venait de parler, et m��me sa respiration, car elle devait s'��tre pench��e en dehors de la fen��tre. Tout ��tait silencieux, immobile; on aurait dit que les ombres et les rayons projet��s par la lune s'��taient p��trifi��s. Le prince Andr�� avait peur de trahir par un geste sa pr��sence involontaire.
?Sonia! Sonia! reprit la premi��re voix, comment est-il possible de dormir? Viens donc voir, comme c'est beau! Dieu, que c'est beau!... ��veille-toi!? Et elle ajouta avec ��motion: ?Il n'y a jamais eu de nuit aussi ravissante, jamais, jamais!...!? La voix de Sonia murmura une r��ponse. ?Mais viens donc, regarde cette lune, mon coeur, ma petite ame, mais viens donc!... Mets-toi sur la pointe des pieds, rapproche tes genoux... on peut s'y tenir deux en se serrant un peu, tu vois, comme cela?
--Prends donc garde, tu vas tomber.?
Il y eut comme une lutte, et la voix m��contente de Sonia reprit:
?Sais-tu qu'il va ��tre deux heures?
--Ah! tu me gates tout mon plaisir! va-t'en, va-t'en!?
Le silence se r��tablit, mais le prince Andr�� sentait, �� ses l��gers mouvements et �� ses soupirs, qu'elle ��tait encore l��.
?Ah! mon Dieu, mon Dieu! dit-elle tout �� coup. Eh bien, allons dormir, puisqu'il le faut!...? Et elle ferma la crois��e avec bruit.
?Ah oui! que lui importe mon existence!? se dit le prince Andr��, qui avait ��cout�� ce babillage, et qui, sans savoir pourquoi, avait craint et esp��r�� entendre parler de lui... toujours elle, c'est comme un fait expr��s! Et il s'��leva dans son coeur un m��lange confus de sensations et d'esp��rances, si jeunes et si oppos��es �� sa vie habituelle, qu'il renon?a �� les analyser; et, se jetant sur son lit, il s'endormit aussit?t.
III
Le lendemain matin, ayant pris cong�� du vieux comte, il partit sans voir les dames.
Au mois de juin, le prince Andr��, en revenant chez lui, traversa de nouveau la for��t de bouleaux. Les clochettes de l'attelage y sonnaient plus sourdement que six semaines auparavant. Tout ��tait ��pais, touffu, ombreux: les sapins dispers��s ?�� et l�� ne nuisaient plus �� la beaut�� de l'ensemble, et les aiguilles verdissantes de leurs branches t��moignaient d'une mani��re ��clatante qu'eux aussi subissaient l'influence g��n��rale.
La journ��e ��tait chaude, il y avait de l'orage dans l'air: une petite nu��e arrosa la poussi��re de la route et l'herbe du foss��: le c?t�� gauche du bois restait dans l'ombre; le c?t�� droit, �� peine agit�� par le vent, scintillait tout mouill�� au soleil: tout fleurissait, et, de pr��s et de loin, les rossignols se lan?aient leurs roulades.
?Il me semble qu'il y avait ici un ch��ne qui me comprenait,? se dit le prince Andr��, en regardant sur la gauche, et attir�� �� son insu par la beaut�� de l'arbre qu'il cherchait. Le vieux ch��ne transform�� s'��tendait en un d?me de verdure fonc��e, luxuriante, ��panouie, qui se balan?ait, sous une l��g��re brise, aux rayons du soleil couchant. On ne voyait plus ni branches fourchues ni meurtrissures: il n'y avait plus dans son aspect ni d��fiance am��re ni chagrin morose; rien que les jeunes feuilles pleines de s��ve qui avaient perc�� son ��corce s��culaire, et l'on se demandait avec surprise si c'��tait bien ce patriarche qui leur avait donn�� la vie!
?Oui, c'est bien lui!? s'��cria le prince Andr��, et il sentit son coeur inond�� de la joie intense que lui apportaient le printemps et cette nouvelle vie. Les souvenirs les plus intimes, les plus chers de son existence, d��fil��rent devant lui. Il revit le ciel bleu d'Austerlitz, les reproches peints sur la figure inanim��e de sa femme, sa conversation avec Pierre sur le radeau, la petite fille ravie par la beaut�� de la nuit, et cette nuit, cette lune, tout se repr��senta ��
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