La grande ombre | Page 6

Sir Arthur Conan Doyle

chargé de trancher la question pour moi.
L'individu était courbé, la tête en avant, occupé à pousser le gamin à
travers une étroite fenêtre quand je m'abattis sur lui à l'endroit même où
le cou se joint à l'épine dorsale.
Il poussa une sorte de cri sifflant, tomba la face en avant et fit trois
tours sur lui-même en battant l'herbe de ses talons.
Son petit compagnon s'éclipsa au clair de la lune et en un clin d'oeil il
eut franchi la muraille.
Quant à moi, je m'étais assis pour crier à tue-tête et frotter une de mes
jambes où je sentais la même chose que si elle eut été prise dans un
cercle de métal rougi au feu.
Vous pensez bien qu'il ne fallut pas longtemps pour que toute la maison,
depuis le directeur de l'école, jusqu'au valet d'écurie accourussent dans
le jardin avec des lampes et des lanternes.
La chose fut bientôt éclaircie.
L'homme fut placé sur un volet et emporté.

Quant à moi, on me transporta en triomphe, et solennellement dans une
chambre à coucher spéciale, où le chirurgien Purdle, le cadet des deux
qui portent ce nom, me remit en place le péroné.
Quant au voleur, on reconnut qu'il avait les jambes paralysées, et les
médecins ne purent se mettre d'accord sur le point de savoir s'il en
retrouverait ou non l'usage.
Mais la loi ne leur laissa point l'occasion de trancher la question, car il
fut pendu environ six semaines plus tard aux Assises de Carlyle.
On reconnut en lui le bandit le plus déterminé qu'il y eût dans le nord
de l'Angleterre, car il avait commis au moins trois assassinats, et il y
avait assez de preuves à sa charge pour le faire pendre dix fois.
Vous voyez bien que je ne pouvais parler de mon adolescence sans
vous raconter cet événement qui en fut l'incident le plus important.
Mais je ne m'engagerai plus dans aucun sentier de traverse, car lorsque
je songe à tout ce qui va se présenter, je vois bien que j'en aurai de reste
à dire avant d'être arrivé à la fin.
En effet, quand on n'a à conter que sa petite histoire particulière, il vous
faut souvent tout le temps, mais quand on se trouve mêlé à de grands
événements comme ceux dont j'aurai à parler, alors on éprouve une
certaine difficulté, si l'on n'a pas fait une sorte d'apprentissage à
arranger le tout bien à son gré.
Mais j'ai la mémoire aussi bonne qu'elle fût jamais, Dieu merci, et je
vais tâcher de faire mon récit aussi droit que possible.
Ce fut cette aventure du cambrioleur qui fit naître l'amitié entre Jim, le
fils du médecin, et moi.
Il fut le coq de l'école dès le jour de son entrée, car moins d'une heure
après, il avait jeté, à travers le grand tableau noir de la classe, Barton,
qui en avait été le coq jusqu'à ce jour-là.

Jim continuait à prendre du muscle et des os. Même à cette époque, il
était carré d'épaules et de haute taille.
Les propos courts et le bras long, il était fort sujet à flâner, son large
dos contre le mur, et ses mains profondément enfoncées dans les
poches de sa culotte.
Je n'ai pas oublié sa façon d'avoir toujours un brin de paille au coin des
lèvres, à l’endroit même où il prit l'habitude de mettre plus tard le tuyau
de sa pipe.
Jim fut toujours le même pour le bien comme pour le mal depuis le
premier jour où je fis connaissance avec lui.
Ciel! comme nous avions de la considération pour lui!
Nous n'étions que de petits sauvages, mais nous éprouvions le respect
du sauvage devant la force.
Il y avait là Tom Carndale, d'Appleby, qui savait composer des vers
alcaïques aussi bien que des pentamètres et des hexamètres, et,
cependant pas un n'eût donné une chiquenaude pour Tom.
Willie Earnshaw savait toutes les dates depuis le meurtre d’Abel, sur le
bout du doigt, au point que les maîtres eux-mêmes s'adressaient à lui
s'ils avaient des doutes, mais c'était un garçon à poitrine étroite,
beaucoup trop long pour sa largeur, et à quoi lui servirent ses dates le
jour où Jock Simons, de la petite troisième, le pourchassa jusqu'au bout
du corridor à coups de boucle de ceinture.
Ah! il ne fallait pas se conduire ainsi à l'égard de Jim Horscroft.
Quelles légendes nous bâtissions sur sa force?
N'était-ce pas lui qui avait enfoncé d'un coup de poing un panneau de
chêne de la porte qui conduisait à la salle des jeux? N'était- ce pas lui
qui, je jour où le grand Merridew avait conquis la balle, saisit à
bras-le-corps et Merridew et la balle et atteignit le but en dépassant tous

les adversaires au pas de course?
Il nous paraissait déplorable
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