La grande ombre | Page 8

Sir Arthur Conan Doyle
mettrais dans le coup à moins qu'elle ne me contat une histoire.
Cela l'aidait à commencer, mais une fois en train, c'était étonnant comme elle allait.
Et à entendre les choses qui lui étaient arrivées, cela vous coupait la respiration.
Il y avait un pirate barbaresque qui était allé à Eyemouth.
Il devait revenir dans cinq ans avec un vaisseau chargé d'or pour faire d'elle sa femme.
Et il y avait un chevalier errant qui lui aussi était allé à Eyemouth et il lui avait donné comme gage un anneau qu'il reprendrait à son retour, disait-il.
Et elle me montra l'anneau, qui ressemblait à s'y méprendre à ceux qui soutenaient les rideaux de mon lit, mais elle soutenait que celui-là était en or vierge.
Je lui demandai ce que ferait le chevalier s'il rencontrait le pirate barbaresque.
Elle me répondit qu'il lui ferait sauter la tête de dessus les épaules.
Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien trouver en elle?
Cela dépassait mon intelligence.
Puis elle me dit que pendant son voyage à destination de West Inch, elle avait été suivie par un prince déguisé.
Je lui demandai à quoi elle avait reconnu que c'était un prince.
Elle me répondit:
-- à son déguisement.
Un autre jour, elle dit que son père composait une énigme, que quand elle serait prête, il la mettrait dans les journaux, et celui qui la devinerait aurait la moitié de sa fortune et la main de sa fille.
Je lui dis que j'étais fort sur les énigmes, et qu'il faudrait qu'elle me l'envoyat des qu'elle serait prête.
Elle dit que ce serait dans la Gazette de Berwick, et voulut savoir ce que je ferais d'elle quand je l'aurais gagnée.
Je répondis que je la vendrais aux enchères, pour le prix qu'on m'offrirait, mais ce soir-là elle ne voulut plus conter d'histoires, car elle était très susceptible dans certains cas.
Jim Horscroft était absent pendant le temps que la cousine Edie passa chez nous.
Il revint la semaine même où elle partit, et je me rappelle combien je fus surpris qu'il fit la moindre question ou montrat quelque intérêt au sujet d'une simple fillette.
Il me demanda si elle était jolie, et quand j'eus dit que je n'y avais pas fait attention, il éclata de rire, me qualifia de taupe, et dit qu'un jour ou l'autre j'ouvrirais les yeux.
Mais il ne tarda pas à s'occuper de tout autre chose, et je n'eus plus une pensée pour Edie, jusqu'au jour où elle prit bel et bien ma vie entre ses mains et la tordit comme je pourrais tordre cette plume d'oie.
C'était en 1813.
J'avais quitté l'école, et j'avais déjà dix-huit ans, au moins quarante poils sur la lèvre supérieure, et l’espérance d’en avoir bien davantage.
J’avais changé depuis mon départ de l’école.
Je ne m’adonnais plus aux jeux avec la même ardeur.
Au lieu de cela il m’arrivait de rester allongé sur la pente de la lande, du c?té ensoleillé, les lèvres entrouvertes, et regardant fixement devant moi, tout comme le faisait souvent la cousine Edie.
Jusqu’alors je m’étais tenu pour satisfait, je trouvais mon existence remplie, du moment que je pouvais courir plus vite et sauter plus haut que mon prochain.
Mais maintenant, comme tout cela me paraissait peu de chose!
Je soupirais, je levais les yeux vers la vaste vo?te du ciel, puis je les portais sur la surface bleue de la mer.
Je sentais qu’il me manquait quelque chose, mais je n’arrivais point à pouvoir dire ce qu’était cette chose.
Et mon caractère prit de la vivacité.
Il me semblait que tous mes nerfs étaient agacés.
Si ma mère me demandait de quoi je souffrais, ou que mon père me parlat de mettre la main au travail, je me laissais aller à répondre en termes si apres, si amers que depuis j'en ai souvent éprouvé du chagrin.
Ah! on peut avoir plus d'une femme, et plus d'un enfant, et plus d'un ami, mais on ne peut avoir qu'une mère.
Aussi doit-on la ménager aussi longtemps, qu'on l'a.
Un jour, comme je rentrais en tête du troupeau, je vis mon père assis, une lettre à la main.
C'était un événement fort rare chez nous, excepté quand l'agent écrivait pour le terme.
En m'approchant de lui, je vis qu'il pleurait, et je restai à ouvrir de grands yeux, car je m'étais toujours figuré que c'était là une chose impossible à un homme.
Je le voyais fort bien à présent, car il avait à travers sa joue palie une ride si profonde, qu'aucune larme ne pouvait la franchir.
Il fallait qu'elle glissat de c?té jusqu'à son oreille, d'où elle tombait sur la feuille de papier.
Ma mère était assise près de lui et lui caressait la main, comme elle caressait le dos du chat pour le calmer.
-- Oui, Jeannie, disait-il, le pauvre Willie est mort. Cette lettre vient de l'homme de loi. La chose est arrivée subitement. Autrement on nous aurait écrit. Un anthrax, dit-il, et un flux de sang à la tête.
-- Ah! Alors ses peines sont finies, dit
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