La fille du pirate | Page 6

Émile Chevalier
ne tient qu'�� vous de vous en assurer si vous le d��sirez. Il est chez elle.?
--?a ne m'apprend pas grand'chose, dit le charretier en serrant le portefeuille dans la poche de son capot.

II
A l'��poque o�� commence cette histoire, Montr��al ��tait loin d'occuper l'��tendue qu'il embrasse maintenant. Le faubourg Qu��bec, si peupl�� aujourd'hui, ne comptait gu��re que quelques maisonnettes ��parpill��es �� travers de vastes prairies mar��cageuses et sillonn��es de ruisseaux. Sur l'emplacement du pat�� actuellement born�� par les rues Sainte-Catherine et Dorchester, Beaudry et de la Visitation, s'��levait une cahute en bois, appuy��e contre quelques hangars et chantiers de la plus ch��tive apparence.
Cette cahute n'avait qu'un ��tage; autour r��gnait une galerie d��labr��e �� laquelle on arrivait par un escalier de quatre marches. Le toit, couvert en bardeaux, se projetait en forme d'auvent au-dessus de la galerie et l'abritait tant bien que mal. Il ��tait surmont�� d'une lucarne-demoiselle, alors �� demi enterr��e sous la neige. La fa?ade de la masure donnait au sud; elle poss��dait deux fen��tres et une porte basse ouverte �� l'extr��mit�� gauche vis-��-vis de l'escalier. Devant cette maison s'��tendait la cour, ceinte d'une palissade en souches d'��rable, grossi��rement empil��es les unes sur les autres. Des tas de fumiers, rev��tus d'une ��paisse couche de glace, et un poulailler, composaient les principaux ornements de la cour, o�� l'on p��n��trait par une fr��le barri��re, retenue avec des liens d'osier en guise de gonds et fermant au moyen d'une corde qu'on nouait �� une cheville fich��e dans un montant dispos�� �� cet effet.
La maison appartenait �� une vieille femme. Habitation et habitante jouissaient d'une mauvaise r��putation. Dans le voisinage on n'en parlait qu'avec terreur. Ceux que leurs affaires obligeaient �� passer pr��s de la r��sidence de la m��re Guilloux, ne manquaient jamais de se signer, et le nom seul de la maritorne suffisait pour imposer silence aux enfants criards.
La m��re Guilloux n'avait plus d'age. On la disait veuve d'un matelot, que nul n'avait connu. Quand �� elle, c'��tait une grande femme, s��che, osseuse, d'un aspect repoussant. Son visage ressemblait assez �� une peau de parchemin dess��ch��e, pliss��e, recroquevill��e par la chaleur. Pommettes, maxillaires, saillissaient affreusement. Le front ��tait ��troit aux tempes, bas, d��prim��, en grande partie cach�� par des m��ches de cheveux blanc-sale qui s'��chappaient d'un bonnet d'indienne dont la couleur primitive avait disparu depuis longtemps sous un triple enduit de graisse. De petits yeux ronds, for��s en trous de vrille, un nez ��cras��, aplati comme par un coup de marteau, une bouche ��norme, d��pouill��e de sa l��vre sup��rieure et laissant �� nu quelques crocs jaunatres, un menton coutur�� par une cicatrice cruciale, aux bords de laquelle avaient cr? des touffes de poils gris, achevaient de justifier l'effroi superstitieux que cette hideuse cr��ature r��pandait autour de sa personne et de sa propri��t��.
D'o�� venait la m��re Guilloux? Probl��me!
Dix ans auparavant elle s'��tait install��e dans la baraque que nous avons d��crite, apr��s l'avoir achet��e �� un p��cheur, et depuis lors elle y vivait Quels ��taient ses moyens d'existence? Autre probl��me aussi insoluble que le premier.
Les comm��res du quartier pr��tendaient bien que la m��re Guilloux entretenait doux commerce d'amiti�� avec le diable, et qu'elle devait �� l'esprit malin les beaux louis d'or que chaque semaine elle ��changeait au march�� contre les primeurs de la saison; mais le diable est ordinairement un pauvre h��re, plus charg�� de conscience que de piastres, et nous doutons que malgr�� sa pr��tendue tendresse pour l'ame de la m��re Guilloux il e?t ��t�� capable de se constituer le banquier-pourvoyeur de son estomac.
Comment la m��re Guilloux employait-elle ses journ��es? Troisi��me myst��re qu'aucun Oedipe n'avait pu percer.
Ce n'est pas qu'on n'e?t tent�� d'en d��chirer le voile; Dieu merci! �� Montr��al, aussi bien que partout ailleurs, il ne manque pas de gens plus enclins �� soigner les int��r��ts des voisins que les leurs. La charit�� est si excellente vertu! Mais, en cette occasion, madame Charit�� s'��tait bourgeoisement cass�� le nez. La m��re Guilloux ou la Camarde, comme on l'appelait commun��ment, t��moignait peu de go?t pour la soci��t��. Et les intr��pides bienfaitrices qui avaient essay�� de porter leur curiosit�� dans son asile avaient ��t�� d?ment ��conduites par le cerb��re du logis, un certain chien-loup, malingre, d��charn�� comme sa ma?tresse, mais possesseur, au reste, de splendides machoires qui auraient ��merveill�� nos dentistes-osanores.
Ce chien-loup se nommait Hurleur.
En ��t��, mons. Hurleur g?tait sous la galerie, en hiver il se promenait flegmatiquement au-dessus. Jamais il ne d��sertait son poste. Quelqu'un approchait-il trop pr��s de la cl?ture, le fid��le portier s'��lan?ait dans la cour, se dressait sur ses pattes de devant contre la barre transversale de la barri��re, et montrait coquettement �� l'audacieux ses dents blanches et aigu?s. C'��tait vraiment un chien-mod��le. Les Fran?ais lui auraient, sans nul doute d��cern�� le prix Monthyon. Moins appr��ciateurs des nobles qualit��s que les Fran?ais, les Canadiens ne tenaient pas notre animal en haute estime.
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