La fille du pirate | Page 5

Émile Chevalier
marquait vingt-six ans, n'��tait pas beau gar?on, mais poss��dait en revanche les plus belles b��tes de toute la paroisse de Montr��al. C'��taient deux chevaux bais-bruns, �� la robe soyeuse et luisante, aux longues balsanes blanches, portant haut la t��te, trottant vite et menu, pas ?malins en toute?, comme disait leur ma?tre, et faisant cinquante milles sans se fatiguer. Je vous laisse �� penser si Pierre Morlaix ��tait vain de son attelage! Vraiment il fallait le voir assis sur le si��ge de sa cal��che, doubl��e d'��toffe gauffr��e, il fallait le voir br?lant le pav�� de la grande rue Saint-Jacques, par un beau jour d'��t��, il fallait voir avec quelle c��l��rit�� il vous emportait les partis, le dimanche, �� Monkland! Et l'hiver donc! Ah! l'hiver ��tait le bon temps de notre ami. D��s que la neige ��tendait sa nappe de duvet sur la ville et les campagnes, Pierre remisait sa cal��che, l'emmaillotait tendrement dans une housse de cuir imperm��able et sortait son sleigh! Un superbe tra?neau, ma foi, en velours cramoisi et tout drap�� de splendides pelleteries qui retombaient jusqu'�� terre! Il en avait fait des jaloux, ce sleigh-l��! Les charretiers de la place Notre-Dame, de la place Jacques-Cartier, du March��-��-foin, se mangeaient-ils la langue chaque fois qu'ils apercevaient sa coque ��l��gante rasant avec la rapidit�� d'une locomotive le sol argent�� de concr��tions cristallines. Dans leur envieuse fureur, quelques-uns n'avaient-ils pas complot�� la perte du joli tra?neau! Oui; mais Pierre, Morlaix ��tait un rude gars! Il avait d��couvert la conjuration, fustig�� d'importance les conspirateurs et son tra?neau jouissait de l'estime publique. A peine arriv�� �� son poste le matin, il ��tait retenu! Nul n'avait souvenance qu'il f?t rest�� dix minutes inoccup��. Le samedi soir on l'assurait pour le lendemain, on se le disputait, et ma?tre Pierre, afin de contenter tout le monde, le mettait g��n��reusement �� l'ench��re! Alors, le tra?neau montait, montait, montait! Les t��tes s'��chauffaient et souvent la location ��tait adjug��e sur une offre de quinze dollars. Pierre faisait claquer sa langue contre son palais; le gagnant jetait sur ses antagonistes un coup d'oeil de d��fi, et la foule, que ces sc��nes hebdomadaires ne manquaient jamais d'amasser, battait des mains.
Tel ��tait Pierre Morlaix, ses deux coursiers, Carillon, la Brune et son sleigh, lorsque, par une nuit de janvier 18..., comme le brave pha��ton revenait d'une course dans Griffinton, il fut frapp�� par cette interpellation significative:
--Oh��!
Pierre ralentit l'allure de ses chevaux, se retourna, et �� la lueur du r��verb��re voisin, aper?ut un individu, emboss�� dans un ample manteau, �� collet relev��, et coiff�� d'un casque[1] en fourrure.
[Note 1: Tel est le nom que les Canadiens-Fran?ais donnent �� leur coiffure d'hiver.]
--Approche! fit ce personnage d'un ton bref.
Le charretier avan?a sa voiture pr��s du trottoir, et dit:
--Embarquez.
L'inconnu sauta dans le tra?neau, ramena soigneusement sur lui la robe de boeuf, bord��e d'une bande ��carlate.
--O�� va-t-on, monsieur? demanda Pierre.
--Faubourg Qu��bec, et promptement!
Ces mots ��taient �� peine prononc��s que Carillon et la Brune d��voraient l'espace avec la vitesse du vent.
Le froid ��tait sec, la neige grin?ait sous les patins du sleigh et des narines des chevaux s'��levait un nuage de vapeur blanchatre, qui tranchait sur les teintes bleues, projet��es par le firmament, nacr�� de perles ��tincelantes.
--Quelle rue? dit Pierre, en franchissant la place Dalhousie.
--Rue de la Visitation.
--Quel num��ro?
--Marche. Je t'avertirai quand je voudrai descendre.
Habitu�� au caprice de ses pratiques, le charretier poursuivit droit son chemin jusqu'�� la rue de la Visitation qu'il enfila trop brusquement, car le tra?neau s'accrocha �� une borne et se renversa sur le c?t��.
Heureusement les chevaux s'arr��t��rent d'eux-m��mes; mais Pierre fut lanc�� au milieu de la voie, ainsi que son voyageur.
--Maladroit! s'��cria celui-ci, en sa relevant. Ne pouvais-tu faire attention?
--Excusez, balbutia le conducteur confus, et s'assurant qu'il n'��tait pas bless��.
--Allons, leste! dit l'autre, en ramassant sur la neige, un objet qu'il avait sans doute laiss�� ��chapper et que Pierre Morlaix crut ��tre un pistolet.
Ils reprirent leur place et se remirent en route. Mais au coin de la rue Sainte-Catherine, l'inconnu posa sa main sur l'��paule de Pierre Morlaix:
--Voici un louis. Attends-moi ici; tu me ram��neras.
Ce disant, il sautait �� terre, et disparaissait derri��re un pat�� de maisons.
S��duit par la g��n��rosit�� de son passager (afin de nous servir du terme local), Pierre l'attendit patiemment jusqu'au petit jour. A la fin, lass�� de fumer des pipes, de s'agiter le corps, les pieds et les bras pour s'��chauffer, il r��solut de rentrer ses chevaux �� leur ��curie. Ensuite, avant de se coucher, il voulut nettoyer son tra?neau. Mais quelle fut sa surprise de trouver sur le coussin un petit portefeuille de maroquin noir! Pierre l'ouvrit sans scrupule, en marmottant:
--C'est ce monsieur qui, sans doute, l'aura oubli��! il ne manquera pas de le r��clamer, et on le lui rendra.
Le portefeuille contenait vingt bills de cinquante piastres chacun et un billet, sans adresse et sans signature, ainsi con?u:
?Il
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