La fiancée du rebelle | Page 5

Joseph Marmette
br?ler une amorce. Pour en venir à ces fins il commen?a par discréditer le général Carleton dans l'esprit de ses auditeurs, en leur exposant avec quelle impéritie ce général avait défendu Montréal et tout le pays environnant, qui étaient tombés entre les mains des Bostonnais dans l'espace de quelques semaines. Sur ce point, Williams avait malheureusement raison, et les mémoires de Sanguinet--témoin oculaire, et royaliste assez zélé pour n'être pas suspect dans la relation qu'il nous a laissée de ces évènements,--ne le prouvent que trop.
Ainsi cita le combat qui eut lieu aux porter de Montréal le 15 Septembre 1775, et où trois cents Canadiens et trente marchands anglais repoussèrent les ennemis avec perte, tandis que le général Guy Carleton et le brigadier Prescott "étaient restés dans la cour des casernes avec environ quatre-vingts et quelques soldats, lesquels avaient leurs havresacs sur le dos et leurs armes,--prêts s'embarquer dans leurs navires,--si les citoyens de la ville avaient été repoussés." Et puis, il appuya sur la faute qu'avait commise Carleton en refusant aux citoyens encore tout échauffés par les excitations de la victoire, l'autorisation qu'ils lui demandaient grands cris de poursuivre les fuyards "dont il était si facile de s'emparer."
Ensuite il s'effor?a de démontrer combien avait été blamable l'inaction du gouverneur, lorsque les habitants des campagnes autour de Montréal avaient manifesté le désir de marcher contre les rebelles immédiatement après le succès du 25 septembre. Il jeta tout le ridicule possible sur les promenades--comme Sanguinet appelle ces expéditions pacifiques--que le gouverneur avait été faire en bateau devant Longueil, à la tête de plusieurs cents hommes, sans permettre à ceux-ci, qui br?laient du désir de combattre, d'opérer la moindre descente sur le rivage les ennemis narguaient tout à leur aise le trop prudent général.
Williams en était à ce point de son discours, lorsque la porte de la chapelle s'ouvrit lentement pour livrer passage à deux nouveaux arrivants. L'orateur qui ne pouvait distinguer leurs traits, vu la distance où il était d'eux et la demi-obscurité qui régnait dans la chapelle, les prit pour des retardataires et continua, d'exposer les griefs que les royalistes les plus ardents devaient avoir contre un gouverneur qui, après avoir perdu, en quelques semaines seulement, tout le haut du pays, venait de couronner son ineptie en se laissant prendre près de Sorel, la veille même de ce jour, avec onze batiments, trois cents hommes et les troupes du roi; abandonnant ainsi à leurs propres ressources les habitants du reste de la Province.
Williams en arrivait victorieusement à la conclusion que ce serait folie de songer à défendre la ville sous un commandant aussi inepte, contre les troupes invincibles des généraux Montgomery et Arnold, lorsque l'un des deux derniers venus fendit la foule en s'approchant de la chaire dont il franchit les degrés en deux bonds, et apparut soudain aux yeux stupéfaits de l'orateur.
D'un geste brusque et déterminé, le nouvel arrivant rejeta les pans de son manteau en arrière, ce qui laissa voir le pommeau doré de l'épée ainsi que les habits galonnés d'un officier supérieur. On le reconnut à l'instant. C'était le colonel McLean qui commandait les troupes en sous-ordre.
Après avoir foudroyé Williams du regard:
--Cet homme est un imposteur! s'écria-t-il en se tournant vers l'assemblée. Je vous jure sur mon honneur, Messieurs, que le gouverneur-général Sir Guy Carleton vient d'arriver en ville à l'instant même. Si M. Williams veut me suivre au chateau, ajouta-t-il avec une ironie qui fit frémir le marchand, il se convaincra de la vérité de ce que j'avance. Prévenu par Monseigneur l'évêque de ce qui se passait ici, M. le gouverneur m'envoie prier les bons et loyaux sujets qui composent la majorité de cette assemblée, de ne pas ajouter foi aux paroles insidieuses d'un ami de la rébellion, et de se retirer paisiblement chez eux. Demain le général convoquera les milices et vous persuadera lui-même de défendre vos intérêts et votre ville contre des sujets révoltés dont Sa Majesté le roi d'Angleterre aura bient?t, raison. Le général est convaincu que les courageux habitants d'une ville qui ne se rendit glorieusement à nous, il y a seize ans, qu'après un siège des plus terribles, n'ouvriront pas ignominieusement les portes de leur vieille capitale devant une bande indisciplinée d'insurgents.
Cet appel à la bravoure des citoyens était habile et eut le plus heureux effet. Un murmure de satisfaction courut dans la foule. Il y eut même quelques acclamations.
Le colonel se détourna pour jouir de son triomphe en jetant un coup d'oeil sur Williams.
Mais celui-ci s'était glissé en arrière de McLean pendant que ce dernier parlait, et, craignant que le colonel n'e?t pour mission de l'arrêter, s'était doucement faufilé parmi la foule et esquivé sans bruit.
En ce moment, près de la porte de sortie, se jouait le prologue d'un drame qui, pour être rapide et muet, n'en doit pas moins avoir
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