La fiancée du rebelle | Page 4

Joseph Marmette
son amour unit pour la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve mémorable de cette vérité: ils sont composés de catholiques et de protestants, et cependant, ils jouissent d'une paix parfaite, et par cette Concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont en état de défier et même de détruire tout tyran qui voudrait la leur ravir."
Pendant que l'orateur reprenait haleine, le jeune homme pale, qui se, tenait toujours près de la porte, s'écria:
--Comment alliez-vous ces belles paroles avec certaine autre adresse du Congrès protestant contre la loi de Québec qui reconna?t chez nous la religion catholique? Williams ne s'attendait guère à cette objection! et resta bouche béante.
La majorité de l'assemblée, qui était évidemment peu sympathique au Congrès, se mit à rire.
Et puis, dominant toutes les autres, la grosse voix du colosse qui accompagnait le jeune homme, cria à Williams.
--Hein! ma vieille, ?a te rive ton clou.
Pendant l'immense et long éclat de rire qui courut au-dessus de la foule et tandis que les rares partisans de Williams s'effor?aient de réprimer cette hilarité dangereuse pour le succès de la cause du Congrès, l'orateur se mit à crier et à gesticuler du haut de la chaire.
Ce qu'il disait, lui-même ne le savait guère, mais il parlait quand même. Et veuillez bien croire qu'il n'avait pas tort.
Ne sachant trop que répondre à la sérieuse objection du jeune homme, le rusé marchand avait pensé qu'il fallait profiter du tumulte pour para?tre répliquer et s'indigner en jetant de grands éclats de voix; quitte à ne pas dire un seul mot raisonnable. Ce qui importe peu par un tel brouhaha.
Dans les assemblées tumultueuses, lorsque l'orateur para?t affronter l'orage et du geste et de la voix, presque toujours il finit par obtenir le silence. Williams éprouva bient?t la vérité de ce fait que l'expérience a depuis longtemps démontré. Mais pour ne se point compromettre il eut soin de calmer son indignation et de baisser la voix à mesure que l'ordre se rétablissait. De sorte que lorsqu'on le put entendre, il lisait d'une voix calme cette lettre que Washington adressa "aux peuples du Canada" à la fin de l'année 1775, et dont voici la dernière partie:
"Le grand Congrès américain a fait entrer dans votre province un corps de troupes sous les ordres du général Schuyler, non pour piller, mais pour protéger, pour animer et mettre en action les sentiments généreux que vous avez souvent fait voir et que les agents du despotisme s'efforcent d'éteindre par tout le monde."
L'orateur, après avoir souligné ces derniers mots, fit une pose et arrêta ses yeux sur le jeune homme qui l'avait interrompu, en se disant:
--Voici, sur mon ame! une petite phrase qui vient parfaitement à mon aide.
Il roula de gros yeux indignés, toussa comme un homme qui ne craint pas d'être contredit et, encouragé par le succès tacite qu'il obtenait, continua sa lecture d'une voix emphatique.
"Pour aider à ce dessein et pour renverser le projet horrible, d'ensanglanter nos frontières par le carnage de femmes et d'enfants, j'ai fait marcher le sieur Arnold, colonel, avec un corps de l'armée sous mes ordres pour le Canada. Il lui est enjoint, et je suis certain qu'il se conformera à ses instructions, de se considérer et d'agir en tout comme dans le pays de ses patrons et meilleurs amis; les choses nécessaires et munitions de tout espèce que vous lui fournirez, il les recevra avec reconnaissance et en payera la pleine valeur; je vous supplie donc, comme amis et frères, de pourvoir à tous ses besoins, et je vous garantis ma foi et mon honneur pour une ample récompense, aussi bien que pour votre s?reté et repos. Que personne n'abandonne sa maison à son approche, que personne ne s'enfuye, la cause de l'Amérique et de la liberté est la cause de tout vertueux citoyen américain, quelle que soit sa religion, quel que soit le sang dont il tire son origine. Les Colonies-Unies ignorent ce que c'est que la distinction, hors celle-là que la corruption et l'esclavage peuvent produire. Allons donc, chers et généreux citoyens" (--ici le geste et la voix de l'orateur s'efforcèrent de devenir pathétiques, mais en vain, hélas! entravés qu'ils étaient par l'accent comique du marchand anglais--) "rangez-vous sous l'étendard de la liberté générale, que toute la force de l'artifice de la tyrannie ne sera jamais capable d'ébranler."
Il souligna ces derniers mots d'un geste de sabreur et lan?a un regard vainqueur au jeune homme.
Ce dernier haussa les épaules et dit:
--Farceur!
Le géant d'à c?té gronda d'une voix de stentor:
--Tout ?a c'est de la frime!
Afin de prévenir la nouvelle explosion de rire que cette burlesque appréciation de la lettre de Washington allait déterminer, Williams s'empressa d'aborder la question importante qu'il fallait faire résoudre immédiatement par l'assemblée, et qui était de déterminer les citoyens de Québec à rendre la ville aux troupes du Congrès, sans
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