La fiancée du rebelle | Page 6

Joseph Marmette
une grande influence sur les personnages qui vont animer ce récit.
Le compagnon du colonel McLean était resté à l'entrée de la chapelle. C'était un officier agé d'à peu près trente ans. Ses yeux, en entrant, s'étaient rencontrés avec ceux du jeune homme qui avait interrompu Williams. L'étincelle qui jaillit de chacun de ces deux coups-d'oeil, pétillait d'une haine sourde et péniblement contenue.
Pendant la courte allocution de McLean, ils ne cessèrent de se provoquer tous deux du regard. L'oeil du jeune homme exprimait surtout le mépris; celui de l'officier était empreint d'une expression de colère et de vengeance à moitié satisfaite et qui voulait dire:--Enfin, je te rencontre dans une circonstance qui te va nuire autant qu'elle me sera favorable! Attends un peu et tu verras bient?t que je saurai me venger de bien des dédains que tu m'as fait subir.
L'officier paraissait se trouver en ce moment dans une situation avantageuse, et dominer complètement son antagoniste. Cependant si vous les eussiez vus ainsi l'un près de l'autre, la physionomie franche du jeune homme pale n'e?t pas manqué d'attirer aussit?t toute votre sympathie.
Le colonel McLean achevait de persuader l'assemblée en lui exposant combien le gouverneur était décidé d'opposer la plus vigoureuse résistance si les troupes de Montgomery et d'Arnold venaient, comme il était plus que probable, assiéger la ville. Québec était assez bien pourvu d'armes, d'approvisionnements et de munitions pour tenir les assiégeants en échec jusqu'au printemps, et permettre ainsi d'attendre les secours que l'Angleterre ne manquerait pas d'envoyer au Canada des le retour de la belle saison. Alors les partisans de la bonne cause reprendraient l'avantage et l'on verrait les rebelles dans la confusion et les tra?tres aux abois. Les citoyens ne demandaient pas mieux que d'être rassurés, eux que la coupable insouciance du lieutenant-gouverneur Cramahé avait tant indignés pendant l'absence du général Carleton. Car on sait que pendant tout le temps que le gouverneur général avait été à Montréal, le sieur Cramahé, au lieu de s'occuper à préparer la défense de la ville, n'avait eu d'autres soucis que de festoyer avec le club des "Barons de la Table-Ronde", qu'il avait organisé lui-même à Québec.
L'assemblée se dispersa paisiblement et avec des dispositions tout-à-fait contraires à celles que Williams avait voulu lui communiquer.
Le jeune homme pale fut le premier à sortir de la chapelle. Comme il lui fallait passer en face de l'officier qui attendait le colonel McLean, leurs regards se croisèrent encore une fois comme des lames acérées et avides de sang.
Le géant qui suivait le jeune homme regarda l'officier de travers, comme un colosse prêt à bondir à la gorge de celui que l'instinct lui dit être l'ennemi de son ma?tre.
Arrivé à l'endroit où finit la moitié de la c?te de Lamontagne pour commencer la rue Port-Dauphin, le jeune homme s'arrêta et dit à son formidable compagnon, qui était son serviteur:
--Célestin, tu vas descendre seul à la maison, il n'est pas nécessaire que tu m'attendes. Je rentrerai tard. Couche-toi.
--Je ne me sens pas encore l'envie de dormir, monsieur Marc. Si ?a vous est égal, je fumerai la pipe en vous attendant.
--A ton aise, mon vieux, repartit le jeune homme, qui monta la rue Port-Dauphin tandis que l'autre descendait la c?te de Lamontagne en frappant lourdement de ses larges pieds le sol humide. Le jeune homme parcourut toute la rue Port-Dauphin, prit la rue du Fort et tourna à droite, après avoir jeté un coup-d'oeil distrait sur le chateau Saint-Louis et le convent des Récollets, qui dressaient, l'un en arriére et l'autre à gauche de la Place-d'Armes, leur masse indécise et plus noire encore que le fond sombre de la nuit.
Tandis qu'il gagnait la rue Sainte-Anne de ce pas leste et ferme de jeune homme, dont la vue fait soupirer le vieillard, McLean et l'officier qui l'avait accompagné, débouchaient de la rue du Fort.
--Eh bien! dit McLean en s'arrêtant pour serrer la main de son subordonné, bonsoir Evil. Plus chanceux que moi, amusez-vous bien tandis que je ferai mon rapport au général. Allez, dansez en toute liberté, car vous aurez bient?t à figurer dans un bal votre vis-à-vis vous lancera de tra?tres balles de plomb au lieu de ces oeillades veloutées qui vont vous être décochées ce soir.
--Merci, colonel! bonsoir.
--Bonne nuit.
Le capitaine James Evil tourna le dos à McLean qui montait vers le chateau, et il s'engagea dans la rue Sainte-Anne.
Après avoir longé le mur de cl?ture qui bordait la cour entière du collège des Jésuites, lequel devait être enlevé à ses propriétaires et transformé en casernes l'année suivante, le capitaine continua d'avancer jusqu'à l'extrémité de la rue Sainte-Anne, qui finissait alors vis-à-vis du lieu où s'élève maintenant le collège Morrin. Arrivé au bout de la rue, Evil s'arrêta, embrassa d'un coup-d'oeil la fa?ade illuminée de la dernière maison qui s'élevait à gauche, gravit les trois ou quatre marches du seuil,
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