La fiancée du rebelle | Page 3

Joseph Marmette
animation inaccoutumée.
Dans les rues tortueuses, sombres et rendues humides par une froide bruine qui enveloppait la capitale, se glissaient nombre de gens soigneusement fourrés dans leur manteau. A la faveur de quelques pales rayons de lumière qui, de ci et de là, jaillissaient d'un volet mal clos, vous auriez, pu voir les passants surgir un instant du brouillard et y rentrer aussit?t pour dispara?tre dans l'ombre brumeuse.
Ils venaient de tous les c?tés: des faubourgs, de la haute de la basse Ville, et convergeaient sur un même point, la chapelle de l'évêché.
Le palais épiscopal, qui s'élevait alors sur l'emplacement actuel de l'H?tel du Parlement provincial, était encore habité par l'évêque, qui n'en devait être dépossédé, par le gouvernement anglais, que trois ans plus tard, moyennant la rémunération dérisoire de £150 par an.
Ce soir-là, sur les huit heures, comme le gros intendant de Monseigneur Briant allait fermer la porte de la chapelle, un bruit de pas qui se rapprochaient lui fit sortir un instant la tête au-dehors. Quatre hommes arrivaient, dont l'un cria avec, l'accent anglais le plus prononcé:
--Holà gar?on!
Comme l'intendant se rejetait en arrière et allait obéir à cette injonction, plus que suspecte à pareille heure, en faisant décrire un prudent double tour à la clef de la serrure, l'un des arrivants le prévint, bondit et ouvrit violemment la porte en repoussant à l'intérieur le gardien surpris. Celui-ci, s'attendant à quelque tra?tre coup, lacha un cri d'effroi qui se répéta dans les sonores profondeurs de la chapelle.
--Va dire à ta ma?tre, Monsieur l'évêque, que nous vouloir tenir assemblée publique, ici, cette soir.
--Mais...
--Allons marche... cria l'autre en allongeant un grand coup de pied au gardien.
Celui-ci se tenait déjà à une trop respectueuse distance pour ne pas éviter le coup. Il s'élan?ait même pour se sauver au plus vite, lorsqu'un commandement, encore plus impératif que le premier, le cloua sur place.
--By God! arrêtez-vos!
Ce juron et la grosse voix qui le pronon?ait, firent frissonner les moelles dans les os du gardien.
--Pas voir clair ici. Nos avoir besoin de loumière.
Le pauvre homme se résigna. Il alla chercher des cierges dans un coin de la chapelle, et, pour les allumer, se mit à battre le briquet. Mais ses mains étaient tellement agitées par la peur, qu'il frappait plus souvent ses doigts que le silex.
Les autres, vinrent à son aide, et allumèrent une vingtaine de cierges dont la faible lueur éclairait tant bien que mal l'intérieur de la chapelle.
Le gardien jeta; alors un regard d'interrogation et d'anxiété sur ceux auxquels il était forcé d'obéir. On lui fit signe qu'il pouvait s'en aller. Il tourna sur ses talons et disparut aussit?t dans l'enfoncement obscur de la chapelle, d'où l'on entendit le bruit d'une porte qui se refermait à triple tour.
Celui qui avait commandé cette équipée éclata de rire et dit aux autres, en anglais:
--Merci à Dieu! si tous les fran?ais de la ville ont le courage de celui-ci, Québec ne se défendra pas longtemps contre les troupes de Schuyler et d'Arnold!
C'était, un marchand anglais nomme Williams qui agissait ainsi à l'évêché comme en pays conquis. Il était accompagné de son compatriote Adam Lymburner et de deux de leurs connaissances, tous partisans du congrès et amis déclarés des Bostonnais. L'histoire nous prouvé qu'une bonne partie de la population anglaise du Canada penchait du c?té des Américains insurgés. Outre ceux de Williams et de Lymburner, riches négociants de Québec, elle nous a conservé les noms de James Price et de son associé Maywood, ainsi que celui de Thomas Walker, qui, tous trois, étaient à la tête du mouvement insurrectionnel à Montréal. Cependant la chapelle se remplit peu à peu de nouveaux arrivants. Quand les derniers furent entrés,--un jeune homme, pale, à l'air distingué, et un homme du peuple d'une stature colossale.--
Williams monta dans la chaire [1] et s'adressant à la foule, composée en très-grande partie de Canadiens-Fran?ais:
[Note 1: Historique.]
--Gentlemen, dit-il, I feel most happy in seeing such a numerous assembly.
--Parlez fran?ais, cria le jeune homme qui se tenait près de la porte.
--En fran?ais! hurla le colosse, son compagnon, d'une voix de tonnerre.
--En fran?ais! en fran?ais répéta la foule.
Williams dut se résigner et baragouina une espèce d'exorde, dans lequel, avec l'exagération commune à tous les discours de ce genre, il remerciait les citoyens de Québec de s'être portés en masse une assemblée convoquée par lui dans les intérêts de l'indépendance de toutes les colonies américaines. Puis il se mit à commenter l'adresse du Congrès aux Canadiens, laquelle terminait ainsi:
"Saisissez l'occasion que la Providence elle-même vous présente; si vous agissez de fa?on à conserver votre liberté, vous serez effectivement libres. Nous connaissons trop les sentiments généreux qui distinguent votre nation pour croire que la difference de religion puisse préjudicier à votre amitié pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est de la nature de la liberté d'élever au-dessus de cette faiblesse ceux que
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