La femme française dans les temps modernes | Page 8

Clarisse Bader
le
talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main,
ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par
un éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une
curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout
autre goût que celui d'exercer leur mémoire? Mais, à quelque cause
que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont
heureux que les femmes, qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits,
aient sur eux cet avantage de moins.
«On regarde une femme savante comme on fait une belle arme: elle est
ciselée artistement, d'une polissure admirable, et d'un travail fort
recherché; c'est une pièce de cabinet que l'on montre aux curieux, qui
n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse, non plus
qu'un cheval de manège, quoique le mieux instruit du monde.
«Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet, je ne
m'informe plus du sexe, j'admire; et, si vous me dites qu'une femme
sage ne songe guère à être savante, ou qu'une femme savante n'est
guère sage, vous avez déjà oublié ce que vous venez de dire, que les
femmes ne sont détournées des sciences que par certains défauts:
concluez donc vous-mêmes que moins elles auraient de ces défauts,
plus elles seraient sages; et qu'ainsi une femme sage n'en serait que
plus propre à devenir savante, ou qu'une femme savante, n'étant telle
que parce qu'elle aurait pu vaincre beaucoup de défauts, n'en est que
plus sage[30].»
[Note 30: La Bruyère, Caractères, ch. III, Des Femmes.]

Nous savons, en effet, que les femmes du monde se tenaient volontiers
alors éloignées de l'instruction la plus élémentaire. Avant que Molière
se fût moqué des pédantes, Mlle de Scudéry constatait, comme Fénelon
devait le faire après le succès des Femmes savantes, que le danger de
la science n'était pas aussi pressant ni aussi général chez la femme que
le péril de l'ignorance: «Encore que je sois ennemie déclarée de toutes
les femmes qui font les savantes, je ne laisse pas de trouver l'autre
extrémité fort condamnable, et d'être souvent épouvantée de voir tant
de femmes de qualité avec une ignorance si grossière que, selon moi,
elles déshonorent notre sexe[31].»
[Note 31: Le Grand Cyrus, cité par M. Cousin, la Société française
au XVIIe siècle.]
«Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement», dira Fénelon. «Il
est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l'esprit et de
la politesse ne savoir pas bien prononcer ce qu'elles lisent... Elles
manquent encore plus grossièrement pour l'orthographe, ou pour la
manière de former ou de lier les lettres en écrivant: au moins
accoutumez-les à faire leurs lignes droites, à rendre leurs caractères
nets et lisibles[32].»
[Note 32: Fénelon, De l'éducation des filles, ch. XII.]
Mlle de Scudéry avait aussi parlé des fautes d'orthographe grossières
que commettaient des femmes aussi inhabiles à bien écrire qu'habiles à
bien parler. Elles embrouillent à un tel point les caractères dont elles se
servent, qu'une femme reporte à une autre toutes les lettres que celle-ci
lui a écrites de la campagne, et la prie de les lui déchiffrer
elle-même[33]. Mais ce manque d'orthographe et ce griffonnage ne se
remarquaient-ils pas jusque dans les lettres d'une spirituelle épistolière
comme Mme de Coulanges[34]?
[Note 33: Le Grand Cyrus, cité par M. Cousin, la Société française au
XVIIe siècle.]
[Note 34: Lettre de Coulanges à Mme de Sévigné, 27 août 1694.]

Montaigne remarquait de son temps que tout, dans l'éducation des filles,
ne tendait qu'à éveiller l'amour[35]. La même observation est faite par
Mlle de Scudéry qui se plaint que le désir de plaire soit la seule faculté
que l'on cultive chez la femme: «Sérieusement,... y a-t-il rien de plus
bizarre que de voir comment on agit pour l'ordinaire en l'éducation des
femmes? On ne veut pas qu'elles soient coquettes ni galantes, et on leur
permet pourtant d'apprendre soigneusement tout ce qui est propre à la
galanterie, sans leur permettre de savoir rien qui puisse fortifier leur
vertu ni occuper leur esprit. En effet, toutes ces grandes réprimandes
qu'on leur fait dans leur première jeunesse... de ne s'habiller point
d'assez bon air, et de n'étudier pas assez les leçons que leurs maîtres à
danser et à chanter leur donnent, ne prouvent-elles pas ce que je dis? Et
ce qu'il y a de rare est qu'une femme qui ne peut danser avec
bienséance que cinq ou six ans de sa vie, en emploie dix ou douze à
apprendre continuellement ce qu'elle ne doit faire que cinq ou six; et à
cette même personne qui est obligée d'avoir du jugement jusque à la
mort et de parler jusques à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du
tout qui puisse ni
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