la faire parler plus agréablement, ni la faire agir avec
plus de conduite; et vu la manière dont il y a des dames qui passent leur
vie, on diroit qu'on leur a défendu d'avoir de la raison et du bon sens, et
qu'elles ne sont au monde que pour dormir, pour être grasses, pour être
belles, pour ne rien faire, et pour ne dire que des sottises; et je suis
assurée qu'il n'y a personne dans la compagnie qui n'en connoisse
quelqu'une à qui ce que je dis convient. En mon particulier,... j'en sais
une qui dort plus de douze heures tous les jours, qui en emploie trois ou
quatre à s'habiller, ou pour, mieux dire à ne s'habiller point, car plus de
la moitié de ce temps-là se passe à ne rien faire ou à défaire ce qui avoit
déjà été fait. Ensuite elle en emploie encore bien deux ou trois à faire
divers repas, et tout le reste à recevoir des gens à qui elle ne sait que
dire, ou à aller chez d'autres qui ne savent de quoi l'entretenir; jugez
après cela si la vie de cette personne n'est pas bien employée!...
[Note 35: Montaigne, Essais, liv. III, ch. V.]
«Je suis persuadée... que la raison de ce peu de temps qu'ont toutes les
femmes, est sans doute que rien n'occupe davantage qu'une longue
oisiveté[36]...» Combien juste et profonde est cette dernière remarque!
[Note 36: Le Grand Cyrus, cité par M. Cousin, la Société française au
XVIIe siècle.]
La satire de Molière ne rendra que plus générales ces nonchalantes
habitudes, et la vie inoccupée des femmes produira avec la paresse, la
frivolité, le goût exagéré du luxe et des plaisirs mondains: pente fatale
qui mène promptement à l'abîme! Ou bien le désoeuvrement amollira à
un tel degré les femmes et les jeunes filles que, suivant le témoignage
de Mme de Maintenon, elles ne seront plus capables d'aucun effort,
même pour parler, même pour s'amuser; et que, inertes, apathiques,
elles ne sauront plus que manger, dormir[37]! Entre cette vie et celle de
la brute, je ne vois aucune différence; et, s'il en est une, elle est tout
entière à l'avantage de l'animal qui, du moins, se remue pour chercher
sa pâture.
[Note 37: Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, éd. du M. Lavallée,
145. Entretien avec les dames de Saint-Louis, 28 juin 1702]
Il était temps de remédier à l'anémie morale que nous révèle Mme de
Maintenon. Ce fut pour combattre ce mal que Fénelon écrivit son
admirable traité de l'Éducation des filles, et que Mme de Maintenon
appliqua les théories du saint prélat dans l'Institut de Saint-Louis, à
Saint-Cyr, qu'elle avait fondé pour les jeunes filles de la noblesse
pauvre[38]. Ces théories étaient elles-mêmes le résultat de l'expérience
que Fénelon avait acquise en dirigeant le couvent des Nouvelles
catholiques.
[Note 38: Le traité de l'Éducation des filles parut en 1687, deux ans
après la fondation de Saint-Cyr, mais Mme de Maintenon consulta
Fénelon sur l'oeuvre qu'elle créait. Elle collabora avec lui et avec
l'évêque de Chartres pour le traité intitulé: l'Esprit de l'Institut des filles
de Saint-Louis. Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, 52.]
De la pédanterie de quelques femmes, disait l'abbé Fleury, «on a conclu,
comme d'une expérience assurée, que les femmes n'étaient point
capables d'étudier, comme si leurs âmes étaient d'une autre espèce que
celles des hommes, comme si elles n'avaient pas, aussi bien que nous,
une raison à conduire, une volonté à régler, des passions à combattre,
une santé à conserver, des biens à gouverner ou s'il leur était plus facile
qu'à nous de satisfaire à tous ces devoirs sans rien apprendre[39].»
[Note 39: Fleury, Traité du choix et de la méthode des études,
XXXVIII. Études des femmes.]
S'instruire pour mieux remplir ses devoirs, pour former son jugement,
pour occuper sa vie, c'est là, en effet, le modèle de l'éducation au XVIe
et au XVIIe siècles, modèle qui ne fut pas suivi par la généralité des
familles, mais qui subsistait toujours. Mlle de Scudéry avait ainsi défini
le rôle de l'instruction chez la femme. Telle fut aussi la pensée qui
inspira Fénelon et Mme de Maintenon. Mais tous deux comprirent que
pour que leurs réformes fussent durables, il fallait préparer dans les
jeunes filles des mères éducatrices qui les perpétueraient. Pour former
ces mères, leur plan ne devait pas se borner à l'instruction des femmes,
mais il devait embrasser la grande et forte éducation qui ne sépare pas
l'enseignement intellectuel de l'enseignement moral.
Ces mères éducatrices étaient rares. L'éducation, si négligée dans bien
des familles mondaines, était en même temps comprimée. Et il faut dire
que ce système de compression dominait aussi, dès le XVIe siècle, dans
les familles les plus austères. Le principe romain qui régnait alors dans
le droit, passait dans les moeurs, et
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