La femme française dans les temps modernes | Page 7

Clarisse Bader
Malherbe et
Balzac, si savants en beaux mots, En cuisine peut-être auraient été des
sots[23].

[Note 22: Voir plus haut, page 6.]
[Note 23: Molière, l. c.]
Tout, dans cette oeuvre admirable, est une exacte peinture d'un certain
coin de la société pendant la première moitié du XVIIe siècle. Les
Philaminte, les Bélise, les Armande n'étaient pas plus rares alors qu'au
XVIe siècle. Après avoir vu ce que Marie de Romieu écrivait pendant la
Renaissance pour défendre les droits de la femme, trouverons-nous
exagérée la scène dans laquelle les femmes savantes exposent le plan
de leur académie?
...Nous voulons montrer à de certains esprits, Dont l'orgueilleux savoir
nous traite avec mépris, Que de science aussi les femmes sont meublées;
Qu'on peut faire, comme eux, de doctes assemblées, Conduites en cela
par des ordres meilleurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nous
approfondirons, ainsi que la physique, Grammaire, histoire, vers,
morale, et politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nous serons, par nos
lois, les juges des ouvrages; Par nos lois, prose et vers, tout nous sera
soumis: Nul n'aura de l'esprit, hors nous et nos amis[24].
[Note 24: Les Femmes savantes, acte III, scène II.]
Mais le succès de Molière dépassa le but que le grand comique avait
poursuivi. Le ridicule qu'il jetait sur les femmes savantes allait faire
perdre aux femmes jusqu'à cette modeste instruction qu'il leur
permettait, alors qu'il faisait exprimer par Clitandre sa véritable
pensée:
...Les femmes docteurs ne sont pas de mon goût. Je consens qu'une
femme ait des clartés de tout: Mais je ne lui veux point la passion
choquante De se rendre savante afin d'être savante; Et j'aime que
souvent, aux questions qu'on fait, Elle sache ignorer les choses qu'elle
sait: De son étude enfin je veux qu'elle se cache; Et qu'elle ait du
savoir sans vouloir qu'on le sache, Sans citer les auteurs, sans dire de
grands mots, Et clouer de l'esprit à ses moindres propos[25].
[Note 25: Les Femmes savantes, acte I, scène III.]

On ne saurait mieux dire. C'était ainsi que, plusieurs années
auparavant, Mlle de Scudéry en avait jugé[26], et telle sera toujours
l'opinion des esprits judicieux. Tout dans la femme doit être voilé,
l'instruction comme la beauté. Et c'est avec une délicatesse infinie que
Fénelon a pu dire des jeunes filles: «Apprenez-leur qu'il doit y avoir,
pour leur sexe, une pudeur sur la science presque aussi délicate que
celle qui inspire l'horreur du vice[27].»
[Note 26: Cousin, la Société française au XVIIe siècle, d'après le Grand
Cyrus de Mlle de Scudéry; M. l'abbé Fabre, la Jeunesse de Fléchier.]
[Note 27: Fénelon, De l'éducation des filles, ch. VII. La Rochefoucauld
a, lui aussi, trouvé en cette rencontre la note juste. «Une femme, dit-il,
peut aimer les sciences; mais toutes les sciences ne lui conviennent pas,
et l'entêtement de certaines sciences ne lui convient jamais, et est
toujours faux» Maximes diverses, VI.]
Mais le ridicule que Molière jetait sur les femmes savantes l'emporta
sur les réserves qu'il avait faites. L'éclat de rire qui accueillit sa pièce
fut général, et Boileau en prolongea l'écho en y ajoutant sa note
railleuse[28]. L'instruction fut condamnée avec le pédantisme, et
l'ignorance triompha du tout.
[Note 28: Boileau, Satires, X.]
«Les femmes sous Louis XIV, dit Thomas, furent presque réduites à se
cacher pour s'instruire, et à rougir de leurs connaissances, comme
dans des siècles grossiers, elles eussent rougi d'une intrigue.
Quelques-unes cependant osèrent se dérober à l'ignorance dont on leur
faisait un devoir; mais la plupart cachèrent cette hardiesse sous le
secret: ou si on les soupçonna, elles prirent si bien leurs mesures,
qu'on ne put les convaincre; elles n'avaient que l'amitié pour
confidente ou pour complice. On voit par là même que ce genre de
mérite ou de défaut ne dut pas être fort commun sous Louis
XIV[29]....»
[Note 29: Thomas, Essai sur le caractère, les moeurs, l'esprit des
femmes. 1772.]

Avec sa finesse malicieuse, La Bruyère constata que les défauts des
femmes ne s'accordaient que trop ici avec les préjugés des hommes.
«Pourquoi, dit-il, s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne
sont pas savantes? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits,
leur a-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles
ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation, ou par leurs
ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans
cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou
par la paresse de leur esprit, ou par le soin de leur beauté, ou par une
certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par
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