le droit d'être écoutée que, très instruite, elle n'était point pédante:
c'était Mlle de Scudéry. Elle opposa la femme savante à la femme
instruite, l'une affectant avec prétention une science qu'elle n'a pas,
l'autre cachant avec modestie l'instruction qu'elle possède; la première
montrant chez elle «plus de livres qu'elle n'en avoit lu,» la seconde en
laissant voir moins «qu'elle n'en lisoit[20];» celle-ci employant d'un air
sentencieux de grands mots pour de petites choses, celle-là disant
simplement les grandes choses; la pédante interrogeant publiquement
sur une question de grammaire, sur un vers d'Hésiode, la femme
instruite qui a le bon goût de se déclarer incompétente. Mais notons
surtout ce contraste: la femme studieuse et modeste surveillant toute sa
maison avec sollicitude, tandis que sa maladroite imitatrice dédaigne le
soin du ménage. Devant cette femme oublieuse de ses devoirs,
impérieuse, suffisante, contente d'elle et tranchant de tout, faisant
rejaillir ses ridicules sur les femmes réellement instruites, Mlle de
Scudéry sent déjà bouillonner l'impatience que traduira si bien l'auteur
des Femmes savantes.
[Note 19: Sur le rôle des Précieuses, voir plus loin, ch. III.]
[Note 20: V. Cousin, la Société française au XVIIe siècle, d'après le
Grand Cyrus de Mlle de Scudéry.]
Au milieu de ces femmes qui cherchent à pénétrer les secrets de la
nature, se livrent à des dissertations philologiques, ou pérorent sur les
mérites du platonisme, du stoïcisme, de l'épicuréisme, du cartésianisme,
tandis qu'elles ignorent la science la plus utile, celle du devoir
modestement accompli, je comprends la mauvaise humeur du maître de
maison; et si, dans sa colère, il dépasse la mesure en confondant la
femme instruite avec la pédante, je l'excuse quand il s'écrie:
Le moindre solécisme en parlant vous irrite; Mais vous en faites, vous,
d'étranges en conduite. Vos livres éternels ne me contentent pas; Et,
hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout
ce meuble inutile, Et laisser la science aux docteurs de la ville; M'ôter,
pour faire bien, du grenier de céans, Cette longue lunette à faire peur
aux gens, Et cent brimborions dont l'aspect importune; Ne point aller
chercher ce qu'on fait dans la lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on
fait chez vous, Ou nous voyons aller tout sens dessus dessous. Il n'est
pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, Qu'une femme étudie et
sache tant de choses. Former aux bonnes moeurs l'esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l'oeil sur ses gens, Et régler la dépense
avec économie, Doit être son étude et sa philosophie. Nos pères, sur ce
point, étaient gens bien sensés, Qui disaient qu'une femme en sait
toujours assez, Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître
un pourpoint d'avec un haut-de-chausse. Les leurs ne lisaient point,
mais elles vivaient bien; Leurs ménages étaient tout leur docte
entretien; Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles, Dont elles
travaillaient au trousseau de leurs filles. Les femmes d'à présent sont
bien loin de ces moeurs: Elles veulent écrire et devenir auteurs. Nulle
science n'est pour elles trop profonde, Et céans beaucoup plus qu'en
aucun lieu du monde: Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir. On y sait comme
vont lune, étoile polaire, Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point
affaire; Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin, On ne sait
comme va mon pot, dont j'ai besoin. Mes gens à la science aspirent
pour vous plaire, Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire.
Raisonner est l'emploi de toute ma maison. Et le raisonnement en
bannit la raison...! L'un me brûle mon rôt, en lisant quelque histoire;
L'autre rêve à des vers, quand je demande à boire: Enfin je vois par
eux votre exemple suivi. Et j'ai des serviteurs et ne suis pas servi. Une
pauvre servante au moins m'était restée, Qui de ce mauvais air n'était
point infectée; Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas, A cause
qu'elle manque à parler Vaugelas[21].
[Note 21: Molière, les Femmes savantes, acte II, scène VII.]
Dira-t-on que ce dernier trait sent la charge? Non. Rien de plus exact
que ce détail de moeurs. Rappelons-nous qu'au XVIe siècle, les
servantes mêmes de Robert Estienne étaient obligées de parler
latin[22], et reconnaissons la justesse des plaintes de Chrysale
lorsqu'il nous dit:
Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas, Pourvu qu'à la
cuisine elle ne manque pas? J'aime bien mieux, pour moi, qu'en
épluchant ses herbes Elle accommode mal les noms avec les verbes, Et
redise cent fois un bas ou méchant mot. Que de brûler ma viande ou
saler trop mon pot. Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage, Et
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