La femme française dans les temps modernes | Page 5

Clarisse Bader

enfans. Cicero a escript qu'il avait leu ses epistres, et les estime fort
pour ouvrage féminin. La fille de Lelius, qui avait retenu la paternelle
éloquence, rendit ses enfans et nepveux disers[13].»
[Note 13: Jean Bouchet, le Panegyrie du chevallier sans reproche, ch.
XX.]
En définissant le rôle de l'instruction dans les devoirs maternels, Jean
Bouchet n'a pas oublié de démontrer que l'étude prémunit aussi la
femme contre les plaisirs du monde et les passions mauvaises. Le
cynique Rabelais a lui-même compris que les coupables amours ne
pouvaient trouver place dans une âme sérieusement occupée; et par une
charmante allégorie, il a montré Cupidon n'osant s'attaquer au groupe
des muses antiques, et s'arrêtant surpris, ravi, désarmé, et en quelque
sorte captif lui-même devant leurs graves et doux accents. L'amour
profane ne pouvant les séduire, est devenu, sous leur influence, l'amour
immatériel.
En joignant les réflexions de Jean Bouchet et de Rabelais à celles de la
Belle Cordière, on ne saurait mieux définir le rôle de l'instruction chez
la femme, le vide que remplit cette instruction et la force qu'elle donne
pour mieux s'acquitter des devoirs de l'épouse et de la mère. C'étaient
de tels principes qui, en dépit même de certaines exagérations,

rendaient si solide l'instruction que possédaient au XVIe siècle des
femmes de tout rang. Dans une famille bourgeoise habitant le midi,
Jeanne du Laurens reçoit la sage culture intellectuelle qui lui permettra
de rédiger avec un si exquis bon sens, un jugement si sûr, si droit, ce
Livre de raison, récemment publié pour l'honneur de sa famille et
l'édification de notre temps[14].
[Note 14: Manuscrit publié par M. Charles de Ribbe, dans l'ouvrage
intitulé: Une Famille au XVIe siècle.]
Mais, selon le témoignage de Henri IV, «l'ignorance prenait cours dans
son royaume par la longueur des guerres civiles.» A cette éblouissante
période de la Renaissance succèdent des jours sombres où les tempêtes
menacent d'éteindre le flambeau de la vie intellectuelle. Sans doute
cette vie renaîtra plus florissante que jamais au XVIIe siècle; mais les
femmes du monde, déshabituées de l'étude, se livreront alors pour la
plupart à la frivolité des goûts mondains. Les femmes instruites
deviennent des exceptions brillantes qui se produisent néanmoins dans
divers rangs de la société.
De grandes dames comme Mme de la Fayette, Mme de Sévigné,
Marie-Eléonore de Rohan, abbesse de la Sainte-Trinité, à Caen, plus
tard abbesse de Malnoue[15], et, dans une sphère moins haute, Mme
des Houlières, Mlle Dupré, ont étudié le latin. Cette dernière apprend
même le grec[16].
[Note 15: Huet, Mémoires, livre III.]
[Note 16. M. l'abbé Fabre, De la correspondance de Fléchier avec
Mme Des Houlières et sa fille; la Jeunesse de Fléchier.]
La duchesse d'Aiguillon, élevée dans le Bocage vendéen, reçoit comme
sa grand'mère de Richelieu, une instruction solide. Elle est même
initiée aux lettres grecques et latines [17]. Huet, le savant évêque
d'Avranches, surprend un jour entra les mains de Marie-Élisabeth de
Rochechouart un livre que celle-ci lui cache: c'est le texte grec de
quelques opuscules de Platon, et elle achève avec lui la lecture du
Crilon. Instruite et modeste comme cette jeune fille, sa tante, Gabrielle

de Rochechouart, abbesse de Fontevrault, traduit le Banquet et fait
refondre sa traduction par Racine [18]. Dans ce même XVIIe siècle on
admirera la science philologique d'Anne Lefèvre, la célèbre Mme
Dacier.
[Note 17: Bonneau-Avenant, la Duchesse d'Aiguillon,]
[Note 18: Huet, Mémoires, livre VI; Oeuvres de Racine, édition Petitot,
1825. T. IV. Le Banquet de Platon, et la lettre que Racine écrit à
Boileau sur ce travail. Cette lettre est reproduite dans les Oeuvres de
Boileau, édition Berriat-Saint-Prix, 1837.]
Ainsi qu'au XVIe siècle, nulle étude, quelque aride qu'elle soit, ne
rebute quelques femmes. A la connaissance des langues, Mme de la
Sablière joint l'étude de la philosophie, de la physique, de l'astronomie,
des mathématiques. Les grandes dames raisonnent sur le cartésianisme.
Mme de Grignan, qui se reconnaît fille de Descartes, écrit une lettre sur
la doctrine du pur amour, professée par Fénelon. C'était là s'aventurer
sur le terrain théologique dont Fénelon, et avant lui, Jean Bouchet,
avaient prudemment éloigné la femme. L'auteur de l'Éducation des
filles se défiait avec raison de l'influence féminine dans les questions
que doit seule trancher l'Église. Heureux le doux et saint pontife s'il
n'eût pas été lui-même entraîné par une femme vers la doctrine contre
laquelle s'éleva l'esprit philosophique de Mme de Grignan!
Comme au XVIe siècle, l'amour de la science, quelque circonscrit qu'il
fût chez les femmes, devenait un excès. Si quelques femmes
continuaient d'unir à une forte instruction leurs sollicitudes domestiques,
il sembla que d'autres les aient sacrifiées à la curiosité et à la vanité du
savoir. L'affectation du bel esprit, la préciosité du langage[19]
ajoutaient encore à l'antipathie qu'inspiraient ces femmes. Leurs
ridicules furent flagellés par une femme, une femme qui avait d'autant
plus
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