La femme française dans les temps modernes | Page 4

Clarisse Bader

négliger les femmes qui dès lors défendaient les droits intellectuels de
leur sexe et qui comptaient dans leurs rangs la jeune et belle dauphine
de France, Marie Stuart, prononçant en plein Louvre, devant la cour
assemblée, cette harangue latine dont j'ai parlé plus haut, et qu'elle avait
composée elle-même; «soubtenant et deffendant, contre l'opinion
commune, dit Brantôme, qu'il estoit bien séant aux femmes de sçavoir
les lettres et arts libéraux[8].» Nous ne savons à quel point de vue se
plaça ici la jeune dauphine, si elle faisait de l'instruction une simple
parure pour l'esprit de la femme ou une force pour son caractère. Mais
je pense que la grâce toute féminine qui distinguait Marie Stuart la
préserva des doctrines émancipatrices qui, à cette époque déjà,
égaraient quelque peu les cerveaux féminins. Ne vit-on pas alors Marie
de Romieu, répondant à une satire de son frère contre les femmes,
défendre leur mérite avec un zèle plus ardent que réfléchi, et déclarer
que la femme l'emporte sur l'homme non seulement par les qualités du
coeur, mais encore par les dons intellectuels, par le maniement des
affaires, et même... par le courage guerrier[9]! Le comte Joseph de
Maistre, qui eut le tort d'exagérer la thèse opposée, devait, deux siècles
plus tard, répondre sans le savoir à la prétention la plus exorbitante
d'une femme dont le nom et les écrits ne lui étaient sans doute pas
connus: «Si une belle dame m'avait demandé, il y a vingt ans: «Ne
croyez-vous pas, monsieur, qu'une dame pourrait être un grand général
comme un homme?» je n'aurais pas manqué de lui répondre: «Sans
doute, madame. Si vous commandiez une armée, l'ennemi se jetterait à
vos genoux comme j'y suis moi-même; personne n'oserait tirer, et vous
entreriez dans la capitale ennemie avec des violons et des tambourins...
Voilà comment on parle aux femmes, en vers et même en prose. Mais
celle qui prend cela pour argent comptant est bien sotte[10].»

[Note 8: Brantôme, Premier livre des Dames. Marie Stuart.]
[Note 9: L. Feugère, les Femmes poètes au XVIe siècle.]
[Note 10: Comte J. de Maistre, Lettres et Opuscules inédits. A Mlle
Constance de Maistre. Saint-Pétersbourg, 1808.]
Mlle de Gournay, elle, devait se contenter de proclamer l'égalité des
sexes. Elle fit bien certaines petites restrictions pour les aptitudes
guerrières; mais pour la science de l'administration, elle se garda bien
d'admettre que la femme fût quelque peu inférieure à l'homme[11].
[Note 11: L. Feugère, Mlle de Gournay (à la suite des Femmes poètes
au XVIe siècle).]
La cause de l'instruction des femmes fut mieux plaidée par Louise Labé,
la Belle Cordière. Montaigne avait permis que la femme, si elle le
pouvait, s'instruisît de ce qui lui serait utile;--Louise Labé nous donne
l'une des meilleures applications de ce précepte, en disant que la femme
doit s'instruire pour être la digne compagne de l'homme[12]: la digne
compagne de l'homme, oui, sans doute; mais aussi la mère éducatrice,
selon la pensée d'un auteur qui appartient au XVe et au XVIe siècles.
Jean Bouchet, alors qu'il défend Gabrielle de Bourbon, femme de Louis
de la Tremouille, contre ceux qui reprochent à la noble dame d'avoir
écrit. «Aucuns trouvoyent estrange que ceste dame emploiast son esprit
à composer livres, disant que ce n'estoit l'estat d'une femme, mais ce
legier jugement procède d'ignorance, car en parlant de telles matières
on doit distinguer des femmes, et sçavoir de quelles maisons sont
venues, si elles sont riches ou pauvres. Je suis bien d'opinion que les
femmes de bas estat, et qui sont chargées et contrainctes vacquer aux
choses familières et domesticques, pour l'entretiennement de leur
famille, ne doyvent vacquer aux lectres, parce que c'est chose
repugnant à rusticité; mais les roynes; princesses et aultres dames qui
ne se doyvent, pour la reverence de leurs estatz, applicquer à mesnager
comme les mecaniques, et qui ont serviteurs et servantes pour le faire,
doyvent trop mieulx appliquer leurs espritz et emploier le temps à
vacquer aux bonnes et honnestes lectres concernans choses moralles ou
historialles, qui induisent à vertuz et bonnes meurs, que à oysiveté mère

de tous vices, ou à dances, conviz, banquetz, et aultres passe-temps
scandaleux et lascivieux; mais se doivent garder d'appliquer leurs
espritz aux curieuses questions de théologie, concernans les choses
secretes de la Divinité, dont le sçavoir appartient seulement aux prelatz,
recteurs et docteurs.
[Note 12: Id., même ouvrage.]
«Et si à ceste consideracion est convenable aux femmes estre lectrées
en lectres vulgaires, est encores plus requis pour un aultre bien, qui en
peult proceder: ce que les enfans nourriz avec telles meres sont
voluntiers plus eloquens, mieulx parlans, plus saiges et mieulx disans
que les nourriz avec les rusticques, parce qu'ilz retiennent tousjours les
condicions de leurs meres ou nourrices. Cornelie, mere de Grachus,
ayda fort, par son continuel usaige de bien parler, à l'eloquence de ses
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