faisait enfin des efforts pour comprendre et n'y réussissait pas.
--Simon, si je tue Fernand, je n'en reste pas moins le malheureux que sa femme a trompé et qu'on ridiculise... Si je me sépare de ma femme, je la fais libre et riche... et je reste le mari de la femme perdue, qui tra?ne éternellement mon nom dans son vice et le flétrit en le faisant porter à des enfants illégitimes...
Pierre Davenne se redressa tout à coup, et fier, les bras croisés, il dit:
--Fernand Séglin est un infame, un misérable et un lache; j'ai été sa dupe... mais il ne me rendra pas ridicule... Geneviève est une fille perdue... un monstre... mais personne ne saura que Mme Davenne, que la mère de mon enfant, s'est déshonorée en trompant son mari!
--Qu'allez-vous faire?...
--Je te raconterai cela à l'heure voulue... Simon, sais-tu où demeure, à Paris, Rigobert?
--Rigobert le sauvage?...
--Oui!...
--Je sais que c'est du c?té de Montrouge, je ne peux pas dire où précisément... Mais ne vous inquiétez pas de ?a; il faut le trouver, je le trouverai...
--Il faut que je le voie demain.
--Mon lieutenant, ce sera fait...
--Eh bien, mon vieux Simon, va te coucher... Simon tournait son béret dans ses mains et ne bougeait pas.
--Eh bien, tu ne m'as pas entendu?...
--écoutez, mon lieutenant, faites-moi une grace: laissez-moi coucher là...
--Comment, dans ma chambre?
--Vous savez bien que je dors partout, moi, sur un fauteuil, sur le tapis...
Pierre Davenne eut un triste sourire en disant:
--Mon pauvre et bon camarade, tu ne crois pas à ma dernière résolution, tu crois que je veux t'éloigner...
--Eh bien, oui... j'ai peur de ?a... Une fois seul, vous perdez la tramontane, ?a vous prend, une cartouche; v'lan et ?a y est... bonsoir les gabiers.
Davenne serra la main de son matelot, haussant imperceptiblement les épaules, et lui dit:
--Reste, Simon!... Demain, tu verras quelle campagne je te prépare et combien j'ai besoin de vivre pour la faire...
--Merci... Tenez, couchez-vous; je prends ce coin-là, un tapis qui est plus doux qu'un matelas.
Et le matelot se coucha aussit?t; il feignit de dormir et ne quittait pas de l'oeil son lieutenant.
Celui-ci alla respirer à la fenêtre, puis, revenant, il s'étendit sur son lit et éteignit la lampe...
Au bout de quelques instants, le matelot se glissa sans bruit sur le tapis et se pla?a juste devant le lit en se disant:
--S'il se lève, comme ?a il sera forcé de me marcher sur le corps, faudra bien que je me réveille.
Il lui sembla que Pierre respirait plus fort et s'endormait; il écouta; le malheureux pleurait et gémissait: c'étaient les larmes qu'il versait sur le bonheur à jamais perdu.
Et Simon grognait tout bas:
--Carcan de chien, faut-il que les hommes soient bêtes de s'attacher à ces choses-là!... Les femmes!... L'une fait le mal, vite l'autre vient le raconter... Quel monde!... Tant qu'au Fernand, je crois que le jour où nous nous aborderons tous les deux dans un coin, il passera un mauvais quart d'heure!
Pierre ne put dormir, poursuivi sans cesse par la révélation cruelle qui venait, en une heure, de détruire tous les projets de sa vie; vainement il cherchait à se contenir; aux larmes succédaient des cris de rage... puis des cris d'effroi, lorsque la pensée lui revenait qu'il avait failli tuer sa fille...
Ce fut pour le malheureux une épouvantable nuit, dans laquelle, obligeant la volonté à faire taire la matière, il reconstruisit son avenir.
C'est la pensée unique de son enfant qui fit sa force... C'est pour elle qu'il résolut d'éviter le scandale en chassant la femme et en chatiant le faux ami.
Au point du jour, Simon se leva; on pense qu'il avait peu dormi. Malgré les précautions prises par lui pour ne pas réveiller son lieutenant, il fut tout désappointé en le voyant se dresser sur son lit et lui demander:
--Quelle heure est-il, Simon?
--Mon lieutenant, fit celui-ci, il est encore l'heure de dormir...
Pierre se leva et dit:
--Nous avons beaucoup à faire aujourd'hui...
--Vous ne voulez pas vous reposer et vous tomberez malade.
--Lorsqu'il y avait du danger à bord, est-ce que l'on se reposait?...
--Nous ne sommes pas à bord, fit le matelot en secouant tête.
D'un ton singulier, qui fit lever la tête à Simon, Pierre dit:
--Nous montons d'aujourd'hui la Vengeance... et la campagne commence... Simon, à l'oeuvre... Toute la nuit, je n'ai pas fermé l'oeil; j'ai arrêté mon plan. De cette heure, tout est fini... L'amour est mort, je n'ai plus de pitié...
--Qu'allons-nous faire? demanda Simon en voyant le bouleversement des traits de son ma?tre, en constatant le changement qui s'était opéré en une nuit sur son visage...
--Il faut aujourd'hui que nous retrouvions Rigobert.
--Vous venez avec moi?...
--Je t'accompagnerai; je ne veux pas rester ici ce matin, je ne veux pas la voir...
--Mon lieutenant, il faut être fort...
--Je t'ai dit, Simon, que j'avais mis ma nuit à arrêter mon plan.
Le matelot ne répliqua pas, il savait que si Pierre était quelquefois long

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