d'assurer à Annette, la cuisinière, qu'il avait mangé des biftecks de sauvages, et que cela était délicieux. La servante le repoussait avec dégo?t, et alors le matelot s'esclaffait de rire.
Pierre Davenne était un brave et beau gar?on de trente ans, aux yeux bleus, au teint pale, portant toute sa barbe fine et soyeuse qui, au soleil, avait des reflets d'or; élégant, il paraissait un peu faible; mais il cachait sous cette apparence délicate une force extraordinaire. Après être resté quelques minutes à la fenêtre, il revint dans la chambre, se laissa tomber dans un fauteuil et, les coudes sur ses genoux, la tête dans ses mains, vaincu par la douleur, il se mit à sangloter.
En entendant pleurer son ma?tre, le matelot se retourna d'un saut et s'écria:
--Eh! bon Dieu! qu'est-ce qu'il y a?... Mon lieutenant, monsieur Pierre, vous pleurez... vous pleurez... mais, qu'est-ce qu'on vous a fait?... carcasse de chien!... Vous n'allez pas vous mouiller comme ?a!... En v'là des affaires!...
Et comme Pierre sanglotait en gémissant, le vieux matelot dit, pleurant à son tour:
--Ah! si vous avez des douleurs comme ?a à vous seul... moi aussi alors je vas pleurer... C'est-y du bon sens, un homme qui pleure... Mais, il y a quelque chose... je vas réveiller madame.
--Tais-toi malheureux..., tais-toi, dit vivement Pierre, pendant que le matelot maugréait:
--C'est cette femme de malheur qui a fait tout ?a... Espère... espère!
--Simon, écoute-moi, reprit Pierre Davenne après s'être efforcé d'arrêter ses sanglots... écoute-moi, mon vieux fidèle... Un malheur, un grand malheur me frappe... Es-tu homme si je disparaissais à veiller et protéger mon enfant?
--Qu'est-ce que vous dites là, monsieur... qu'est-ce que vous dites là?... Ah! je comprends! nom d'un tonnerre! Vous, un homme, vous pensez à vous tuer... Ah! mais vous ne ferez pas ?a... Comment, j'ai sacrifié ma vie, à vous, après être resté dix ans près de votre père et puis, pour récompense, vous me laisserez seul... moi... Vous êtes jeune, riche... et pour des... des... gourgandines, vous voulez vous tuer...
--De qui parles-tu? fit Pierre le sourcil froncé.
--De la femme de ce soir...
--écoute, mon vieux camarade... écoute; je puis tout te dire à toi, car ma vie doit changer d'aujourd'hui et je te sais incapable de répéter un mot de ce que je te dirai.
--Je me ferai plut?t hacher...
--Simon, tu sais comment je me suis marié, tu sais quel amour profond je ressentais lorsque j'allai demander la main de Geneviève... tu sais de quelle tendresse je l'ai entourée, je l'aimais plus que tout au monde... J'étais heureux qu'elle f?t pauvre parce que je me disais: Ainsi elle me devra tout... Tu sais si un jour, une heure, mon cerveau a eu d'autre pensée...
--Eh bien, mon lieutenant, mais Mme Davenne vous aime toujours...
--Ah! malheureux! que dis-tu là! dit Pierre fondant en larmes...
--Qu'y a-t-il donc?...
--Mme Davenne n'est plus... fit en se domptant Davenne.
--Hein!
--Mme Davenne est la ma?tresse de Fernand Séglin...
--Fernand, votre ami. Ah! le coquin! exclama le matelot... Mme Davenne...
--Oui, le misérable! lui que j'ai fait ce qu'il est, dit avec rage le jeune homme... Puis, la douleur reprenant le dessus, il retomba anéanti et gémit en pleurant:
--Que faire, mon Dieu? Tout ce qui me vient au cerveau, c'est le malheur de Jeanne.
Le vieux matelot rongeait ses lèvres et rageait tout seul. Après un long silence, il dit:
--Si j'avais su que la péronnelle qui est venue ce soir venait raconter ?a... je l'aurais étranglée... Mais ce n'est pas tout ?a. Est-ce s?r? C'est pas des méchancetés de femme?
Pierre se contenta d'affirmer de la tête.
Simon se promenait à grand pas dans la chambre, regardant son ma?tre, et terrifié de ce désespoir, de ces larmes. Ah! qu'il aurait préféré la colère... Et c'était un triste spectacle que cet homme jeune, accablé de douleur, et pleurant comme un enfant, et auquel chaque mot de consolation semblait une blessure nouvelle.
--Mon lieutenant, fit tout à coup le matelot,... l'honneur d'un homme est au-dessus de la conduite d'une femme... Il faut en finir cette nuit, nous allons aller chez M. Fernand, je l'éveille, il fera jour dans une heure, nous emportons des armes... et je vous ai vu à l'oeuvre, je sais la suite. Si je me trompe, je vous venge et je le tue comme un chien... Vite, apprêtez-vous.
--Ce n'est pas une vengeance ?a...
--Comment, ce n'est pas une vengeance? exclama le matelot étonné.
--Si je me bats avec Fernand, je le tuerai, je le sais... et après...
--Comment après? répéta Simon abruti. Après il ne revient plus.....
--Crois-tu donc que de ce jour je reverrai ma femme...
--?a, ce n'est pas une difficulté... Vous vous séparez, et tout est dit.
Pierre eut un amer sourire.
--Simon, on m'a brisé le coeur; en une heure j'ai vécu dix ans... Je suis de l'avis de cette femme. Je veux d'abord me venger et je les tuerai après...
Simon écarquillait les yeux, ouvrait la bouche, plissait son front,

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