à prendre un parti, du jour où ce parti était arrêté, rien ne l'aurait fait changer... Simon se contenta de maugréer.
--Bon Dieu! c'est pas gaiement qu'il l'a pris...
--Tu m'as vu pleurer pour la dernière fois... entends-tu, mon vieux fidèle, je n'ai plus au coeur qu'un amour, ma fille!... Il faut que nous l'arrachions à ceux que je hais...
--Mon lieutenant, j'ose pas vous dire ?a... mais je vous jure que vous avez besoin d'un peu de sommeil, la tête n'y est plus.
Pierre eut un triste sourire et haussa les épaules.
--J'ose pas vous demander ce que vous allez faire, dit le matelot en aidant son ma?tre dans sa toilette... Vous ne voulez pas casser la tête du coquin... Vous ne voulez pas vous séparer de madame, et vous parlez d'enlever votre enfant.
--Je veux, Simon, que ma femme soit veuve...
--Hein! exclama le matelot.
--Je veux en mourant la chatier dans ce qui fait sa vie heureuse.
--Ah ?à! bon sang! est-ce que j'ai du calfat dans les oreilles?... Vous voulez mourir pour punir madame... Autant aller vous promener et m'envoyer chercher... l'autre...
La nuit avait éteint dans la nature de Pierre les douleurs aigu?s de la veille... Il ne ressentait plus de colère en entendant parler de sa femme et de son ami, la haine avait tout effacé; il reprit avec ce même sourire navré:
--Elle était pauvre, je l'ai faite riche; je veux la rendre veuve à la misère...à la misère qui rend laids ceux qui n'ont que le vice pour la combattre... Elle avait le respect et l'amour, je veux la laisser au mépris et à l'abandon de son... amant... Elle avait conservé une vertu, elle était mère... Je veux lui enlever son enfant, sans amis... avec la honte... et je la condamne à son amant dont je connais le coeur.
Le matelot se taisait effrayé, car il lisait sur le visage de son ma?tre que tout ce qu'il avait dit était arrêté irrévocablement et serait exécuté... Mais il y avait dans tout cela un point contre lequel Simon protestait, et il dit:
--Tout ce que vous voudrez, mon lieutenant... Mais il y a une chose à laquelle je m'oppose absolument...
Pierre le regarda dans les yeux, mais le matelot continua:
--Et que vous ne ferez pas... Vous ne la ferez pas veuve...
Pierre Davenne haussa imperceptiblement les épaules et, répondant, dit:
--Descends voir Annette, dis-lui qu'indisposé à la suite de l'orage, je sors avec toi, pour aller à Vincennes, qu'elle en informe madame à son réveil... Nous ne rentrerons pas déjeuner...
Le matelot obéit, secouant la tête, et grognant tout bas:
--Potence à l'ail!... Je ne le quitte pas d'une semelle... Ah! mais, faut pas croire qu'on fera ce que je ne veux pas... pour des femelles... des... Espère! espère! j'ai l'oeil...
Après avoir rempli sa commission, Simon vint rejoindre son ma?tre qui l'attendait à la porte. Celui-ci lui dit:
--En route!
--Où allons-nous?
--Est-ce que je sais, c'est toi qui me conduis... Nous devons retrouver Rigobert...
--Ah! très bien!...
--Allons jusqu'à la place, nous prendrons une voiture...
Ce dernier point fit faire la grimace à Simon... la voiture lui donnait le mal de mer.
Quelques minutes après, Pierre était étendu dans une voiture découverte et Simon Rivet, assis sur le siège près du cocher... lui racontait qu'il avait été dans une ?le où les cailloux étaient des pièces d'or, seulement elles n'avaient pas cours en France et c'est pour cela qu'il n'en avait pas rapporté; l'or était si commun dans ce pays-là que la monnaie se faisait avec du papier... mais toujours par jalousie la France ne voulait pas l'accepter.
Simon était bon et pas fier, il tira une petite bo?te et pria le cocher d'y fouiller en y fouillant lui-même; celui-ci accepta... Leurs go?ts sympathisaient, car tous deux se glissèrent dans la bouche une pincée de tabac, et le matelot joyeux dit en frappant sur l'épaule de l'automédon:
--Dis donc, le phoque, tu aimes donc ?a aussi, les pralines?... Et ils éclatèrent de rire.
III
Où RéSIDAIT ET CE QU'éTAIT RIGOBERT.
Après s'être arrêté dix fois devant tous les bouges des environs de la Glacière, pour permettre à Simon de se renseigner, dirigé par le matelot, le cocher conduisit sa voiture sur la grande route, et sur l'ordre de Pierre il attendit; celui-ci, guidé par son matelot, s'engagea dans un sentier étroit qui menait au milieu des champs.
Où Montrouge finit, où les carrières commencent, un village étrange avait poussé; sur une terre aride, rebelle à la culture, des tentes, des échoppes, des baraques s'étaient dressées. C'était bien le plus étonnant tableau, le plus fantastique paysage... mais le moins rassurant quartier qu'on p?t voir. C'était la ville de repos du monde forain, c'est là qu'avaient leur résidence fixe les colosses, les femmes à barbe, les grimaciers, les hercules, les femmes à trois jambes, les Vénus à moignons, les tirangeurs de brèmes... le monde des saltimbanques enfin... C'est dans ce lieu singulier qu'ils vivent, lorsqu'ils

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.