puis il ouvrit la porte du
salon, et, ayant pris la lampe de la salle à manger pour s'éclairer, il fit
entrer la femme voilée.
Dès qu'elle fut dans le salon, Pierre ferma la porte du vestibule, puis
poussa le verrou, et ayant approché un siège, il dit:
--Madame, nous sommes absolument seuls, vous pouvez parler.
--La lettre que je vous ai adressée ce matin vous a dit la gravité du
motif qui me dirige.
--Madame, j'espère que vous avez exagéré les mots. Vous me parlez de
mon honneur, de mon avenir, ce sont bien les mots.
--Oui, monsieur, vous en jugerez tout à l'heure.
--Avant, madame, pour avoir dans vos paroles la confiance qu'elles
méritent, puis-je savoir à qui j'ai l'honneur de parler?
--Monsieur, mon nom ne vous servirait à rien, vous ne me connaissez
pas.
--Permettez-moi de vous dire encore, madame, que je vous prierai au
moins de relever votre voile, le mystère dont vous vous entourez
m'embarrasse.
La dame resta muette un instant, puis tout à coup, comme si elle prenait
un violent parti, elle dit:
--J'ai la certitude que vous ne mettrez pas en doute ce que je vous dirai,
ce que je vous prouverai; au reste, je saurai ainsi s'il a parlé de moi chez
vous. Monsieur, je me nomme Madeleine de Soizé.
Et, arrachant vivement son voile, elle ajouta en regardant fixement le
jeune homme:
--Vous voyez, monsieur, que vous ne me connaissez pas.
--Excusez-moi, je vous en prie, madame; mais, en réclamant ma
discrétion, vous trouverez juste que j'aie désiré savoir à qui je la devais.
Je vous écoute.
A son tour, Davenne prit un siège et s'assit.
La femme qui se présentait d'une si singulière façon était absolument
belle, elle paraissait âgée de vingt à vingt-deux ans.
Assez grande, gracieusement élancée, la taille souple, lorsque le châle
de dentelle qui lui couvrait le visage et les épaules tomba à ses pieds,
elle se révéla comme une beauté.
Elle était blonde, de ce blond marron si chaud de ton sous l'éclat des
lumières, ses yeux brun vert semblaient noirs sous les longs cils qui
leur jetaient leur ombre, sa bouche sévère à cette heure appelait le
sourire entre deux fossettes ravissantes, son nez était fin et pur de lignes,
ses sourcils étaient bruns, ses oreilles roses, son cou blanc et long était
traversé de ce pli charmant qu'on nomme collier de déesse.
Bien faite, élégante dans une robe simple, on sentait à son air, on voyait
dans sa mise, on lisait sur son visage une nature distinguée qu'un grave
motif forçait à rompre un instant avec ce qu'elle devait toujours être.
Pierre Davenne en subit l'impression, car c'est confus et respectueux
qu'il dit:
--Madame, je vous écoute.
--Vous allez, monsieur, juger d'un mot la gravité de l'entretien que je
vous demande; j'ai écrit la lettre que vous avez reçue ce matin lorsque
j'ai été décidée à me tuer.
--Ah! mon Dieu, que me dites-vous là?
--La vérité simple. Je suis, monsieur, l'unique enfant d'une famille
honnête, portant un nom jusqu'à ce jour respecté; adorée par un
vieillard, mon père, qui me tuera, si je n'ai le courage de le faire,
lorsqu'il saura la vérité. Un jeune homme, ami de ma famille, un
officier, un ami d'enfance, par cela plus familier avec moi, a abusé de la
confiance que j'avais en lui... Épargnez-moi, monsieur, des explications
que vous comprenez. Je fus victime, puis je fus amante; c'est du crime
que l'amour naquit. Sur ses promesses, je m'abandonnai, certaine que
celui auquel j'avais pardonné en l'aimant me rendrait l'honneur qu'il
m'avait volé en me faisant son épouse. Le jour où je sentis que la faute
ne pouvait plus se cacher, j'allai réclamer de lui la promesse sainte et
sacrée avec laquelle il avait acheté mon silence après le crime. Ce
jour-là, monsieur, ce jour-là je connus l'homme. Froid, dédaigneux,
méprisant même, las de l'amour éteint, il sourit et me dit: «Ma chère
enfant, le mariage n'est la consécration de l'amour »que dans les livres
que tu as tort de lire! Le mariage »est l'assemblage de deux situations
commerciales, ou »l'augmentation d'une fortune! Ma chère Madeleine,
»tu es pauvre et tu ne voudrais pas augmenter mon »malheur du tien!»
En entendant ces mots, dont je ne puis vous rendre le ton, il me sembla
qu'on m'écrasait; je sentis mes forces m'abandonner et je tombai à ses
pieds... J'oubliais de vous dire que lâche et souriante, comme pour
parler de bonheur, je m'étais mise à genoux et que je tenais une de ses
mains... Il me retint. Quand je revins à moi, on m'avait ramenée chez
nous; on avait raconté à mon père que cette défaillance m'avait prise
dans mon magasin, car monsieur, c'est vrai, je suis pauvre, je suis
première demoiselle dans un magasin. Mon père pleurait.»
Les
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