environ trente ans. Lieutenant de vaisseau, il avait
servi dix ans dans la marine. Un jour, ayant hérité d'un oncle qui
composait à lui seul toute sa famille, il résolut d'abandonner la mer
pour se marier et remplacer ainsi la famille absente. Il rencontra
Geneviève, orpheline d'un officier qui avait été son ami et son
professeur à bord.
Geneviève Drouet était une petite ouvrière bien modeste, bien sage, qui
avait été élevée par sa tante, la soeur de feu le lieutenant Drouet, le vieil
ami de Pierre.
Pierre épousa la jeune fille et garda chez lui la vieille femme; elle
mourut l'année même qui suivit le mariage de sa nièce.
Davenne, après un an de ménage, se déclarait le plus heureux des
hommes: il vivait avec sa femme et son enfant et ne recevait chez lui
qu'un de ses anciens compagnons d'armes, démissionnaire comme lui,
son seul ami; brave et loyal garçon ayant son âge, qu'il considérait
comme son frère, et auquel il avait fourni la commandite de sa maison:
il se nommait Fernand Séglin.
Le service de la maison se composait de deux domestiques: Annette,
qui servait à la fois de cuisinière et de femme de chambre, et Simon
Rivet, l'ancien brosseur de Pierre Davenne, un matelot à tous crins qui
était à la fois le domestique et le jardinier. Simon était plus qu'un
serviteur; c'était un chien fidèle, un dévoué, qui se serait fait tuer pour
son maître. Après son chef, Simon adorait la petite Jeanne; il n'avait
pour Mme Davenne qu'une amitié beaucoup plus réservée; il disait
qu'elle lui avait «volé» l'affection de son maître.
Davenne quitta la fenêtre et descendit dans le petit jardin; il se promena,
aspirant à pleins poumons l'air tiède, cherchant vainement la fraîcheur
sous les feuilles des arbres immobiles que pas un souffle n'agitait.
Après avoir été jusqu'au bout du jardin, il revint vers l'entrée du
sous-sol, juste au moment où Annette redescendait; il lui demanda:
--Madame va-t-elle mieux? Ne vous a-t-elle rien demandé?
--Non, monsieur, madame est couchée; elle a prié qu'on fît le moins de
bruit possible, qu'elle voulait dormir.
--Vous auriez dû lui faire un peu de tisane.
--Madame a refusé, je lui avais offert. Monsieur n'a pas à s'inquiéter,
madame n'est pas malade, elle m'a recommandé de l'éveiller demain de
bonne heure.
--Bien! Annette, dites à Simon que je me promène sous les arbres; on
doit venir me demander vers dix heures, qu'il me prévienne dès qu'on
sera venu.
--Oui, monsieur, je vais le lui dire tout de suite.
Pierre Davenne ralluma son cigare et continua sa nocturne promenade
dans l'étroit jardin. Arrivé à l'extrémité, il s'assit devant une petite table
de fer. Accoudé, les yeux fixés sur la fenêtre de la chambre--où
reposaient ceux qu'il aimait,--éclairée à cette heure par la lueur pâle de
la veilleuse, il rêvait d'amour et de bonheur, et il remerciait Dieu qui
l'avait élevé à ces deux sommets, la fortune et l'amour.
Il rêvait depuis quelques minutes, lorsqu'il lui sembla entendre s'ouvrir
et se fermer la porte de la rue. Il vit une ombre se diriger vers lui.
--C'est toi, Simon, demanda-t-il.
--Oui, lieutenant.
--Que veux-tu?
--La dame qui vous a écrit vient d'arriver.
--C'est une dame? fit Pierre intrigué. Tu l'as fait entrer au salon.
--Mon lieutenant, je le lui ai offert, mais elle a refusé, elle ne veut pas
entrer dans la maison.
--Est-elle jeune?
--Ça, ça n'est guère facile à voir, elle est encapuchonnée dans un voile
noir.
Pierre Davenne se leva et se dirigea aussitôt vers l'entrée, suivi par
Simon.
L'inconnue, debout dans l'ombre de la nuit, s'avança en les voyant
paraître. Pierre vint vers elle et lui dit:
--C'est vous, madame, qui désirez me parler?
--Oui, monsieur.
En disant ces mots elle fit un signe pour montrer que le domestique qui
la regardait les yeux ronds, la bouche béante, était de trop. Sur un mot
de son maître, Simon s'éloigna en clignant de l'oeil et en haussant les
épaules.
--Madame, dit aussitôt Pierre, je suis à vos ordres, et lui désignant le
perron il s'effaça pour la laisser passer.
--Je désirerais, monsieur, ne pas entrer chez vous.
--Mon Dieu, madame, je ne vois pas alors le moyen d'être assuré du
secret que vous m'avez demandé; la bonne ou mon domestique peuvent
se trouver dans le jardin sans que nous les voyions. Un de mes voisins
peut, comme moi, prendre le frais à cette heure.
--Vous avez raison, monsieur, fit l'inconnue avec un désappointement
visible, mais nous serons seuls, et je ne risque point d'être vue?
--Je suis le seul encore debout dans la maison. Permettez-moi de vous
diriger.
Tout à fait intrigué, et surtout gêné par les allures singulières de la
visiteuse, il monta rapidement le perron, ferma à clef la porte du
vestibule qui donnait sur l'escalier de service;
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.