par
la foudre.]
Les tentures funèbres cachaient la partie du choeur inachevée. Les
moines se rangèrent en demi-cercle, autour de l'autel.
La grosse cloche du monastère tinta le glas.
Les six dames du deuil s'agenouillèrent sur des coussins de velours,
derrière le dais qu'on avait tendu pour le duc François.
Jeanne de Bruc et Yvonne-Marie de Coëtlogon occupèrent les deux
premiers coussins. Elles représentaient madame Isabelle d'Écosse,
duchesse régnante et Françoise de Dinan, veuve du prince décédé.
Parmi les gentilshommes, Malestroit représentait monsieur Pierre de
Bretagne, frère du duc, et le vaillant Jean Budes, souche de la maison
de Guébriant, se mit aux lieu et place d'Arthur de Bretagne, connétable
de Richemont, absent pour le service du roi de France.
Aux frises tendues de noir, la devise de Bretagne courait en festons
sans fin, montrant, tantôt l'un, tantôt l'autre de ses quatre mots
héroïques: Malo mori quam faedari.[4]
[Note 4: Allusion au blanc écusson d'hermine: _J'aime mieux mourir
que me salir._]
La foule emplissait les bas côtés.
Dans la nef, les hommes d'armes étaient debout, séparés de leur
souverain et des religieux par la balustrade du choeur.
Cette obscurité que nous demandions tout à l'heure pour les oeuvres de
l'art gothique, la basilique de Saint-Michel l'avait à profusion ce jour-là.
Le noir des tentures, couvrant la demi-transparence des vitraux, laissait
à peine passer quelques rayons, et la lueur des cierges luttait
victorieusement contre ces pâles clartés.
Il régnait sous la voûte une tristesse grave et profonde.
Et aussi, mais nul n'aurait su dire pourquoi, une sorte de mystique
terreur.
L'office commença.
François était juste en face du cercueil vide qui figurait la bière absente,
pour les besoins de la cérémonie.
On dit qu'il tint les yeux baissés constamment et que son regard ne se
tourna pas une seule fois vers le drap noir où des lettres d'argent
dessinaient le chiffre de son frère.
Les moines récitaient les oraisons d'une voix lente et cadencée. La
foule et les chevaliers répondaient.
On dit que pas une fois les lèvres décolorées de François ne s'ouvrirent
pour laisser tomber les répons.
On dit encore qu'à plusieurs reprises son corps chancela sur le noble
siège que lui avaient préparé les moines.
On dit enfin que lors de l'absoute sa main laissa échapper le goupillon
bénit...
Mais ce fut pendant l'absoute que se passa la scène étrange et
mémorable qui sans doute fit oublier les détails qui l'avaient précédée.
Cette scène, la basilique de Saint-Michel en gardera éternellement le
souvenir.
Le doigt de Dieu toucha ce front que ne pouvait atteindre le doigt de la
justice humaine.
Au moment où le duc François se levait pour jeter l'eau sainte sur le
catafalque, et comme monsieur le sénéchal de Bretagne jetait ce cri
sous la voûte sonore:
--Hommes d'armes! à genoux! Au moment où les six chevaliers du
deuil, baissant la pointe de l'épée, entraient dans le choeur pour se
ranger autour du cénotaphe, un moine parut tout à coup derrière le
cercueil vide. Personne n'aurait su dire d'où sortait ce religieux, car
toutes les stalles restaient remplies et nul mouvement ne s'était fait à
l'entour du choeur. Le moine se dressa de toute sa hauteur, développant
la bure raide de sa robe et ne montrant qu'une main qui tenait un
crucifix de bois.
--Arrière, duc! prononça-t-il d'une voix retentissante. Le duc François
s'arrêta. Reine de Maurever trembla sous son voile. Aubry tressaillit. Il
avait reconnu cette voix. Dans le choeur et dans la nef on se regardait.
La stupéfaction était sur tous les visages. Cependant monseigneur
l'évêque de Dol ne bougeait pas. Procureur, prieur et religieux durent
imiter son exemple. Le moine inconnu tourna le cénotaphe et vint à la
rencontre du duc.
--Que veux-tu? balbutia ce dernier.
--Je viens à toi de la part de ton frère mort, répondit le moine. Un
frisson courut dans toutes les veines.
Méloir seul semblait curieux plutôt qu'effrayé. Il s'avança jusqu'à la
balustrade pour mieux voir. Aubry l'y avait précédé.
--Qui es-tu? prononça encore le duc François, dont la voix défaillait.
Le moine, au lieu de répondre cette fois, jeta en arrière le large
capuchon de son froc et découvrit une tête de vieillard, énergique et
calme, couronnée de longs cheveux blancs.
Un nom passa aussitôt de bouche en bouche. On disait:
--Hue de Maurever! l'écuyer de M. Gilles! Méloir hocha sa tête coiffée
de fer, comme on fait quand le mot longtemps cherché d'une énigme
vous apparaît à l'improviste. Aubry, qui respirait à peine, se tourna vers
l'endroit de la nef où les dames étaient agenouillées. Reine était
immobile. Les draperies de son voile semblaient taillées dans le marbre.
Le prétendu moine, cependant, avait le front haut et l'oeil assuré. Il
regardait en face François de Bretagne dont les paupières se baissaient.
Sa voix se fit grave, et son accent plus
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