solennel.
--En présence de la Trinité sainte, reprit-il, et devant tous ceux qui sont
ici, prêtres, moines, chevaliers, écuyers, hommes-liges, servant d'armes,
bourgeois et manants, moi, Hugues de Maurever, seigneur du Roz, de
l'Aumône et de Saint-Jean-des-Grèves, parlant pour ton frère Gilles,
assassiné lâchement, je te cite, François de Bretagne, mon seigneur, à
comparaître, dans le délai de quarante jours, devant le tribunal de Dieu!
Le vieillard se tut. Sa main droite, qui tenait un crucifix, s'éleva. Sa
main gauche sortit du froc entrouvert et jeta aux pieds de François un
gantelet de buffle que chacun put reconnaître pour avoir appartenu au
malheureux prince dont on fêtait les funérailles.
Pour se rendre compte de l'effet foudroyant produit par cette scène, il
faut quitter le milieu sceptique où nous vivons et secouer l'atmosphère
de prose lourde qui nous entoure; il faut se reporter au lieu et au temps.
Le quinzième siècle croyait: la religion entrait alors dans la vie de tous,
et il n'était guère de coeur qui ne se serrât au seul mot de miracle.
Cela se passait au Mont-Saint-Michel, le rocher lugubre, cerné par la
mort.
Cela se passait dans la basilique en deuil, devant le cercueil de celui-là
même qui appelait son frère assassin aux pieds de la justice suprême.
Autour du cénotaphe, flanqué de ses quatre rangées de cierges,
cinquante moines s'alignaient, impassibles, montrant leurs rigides
visages dans cette ombre étrange que fait la profonde cagoule.
L'autel seul rayonnait sur le fond mat des draperies noires.
Et dans la nuit de la nef, parmi la cohue confuse des colonnes, sous les
ogives enchevêtrant à l'infini leurs nervures, éclairées vaguement par
quelques rayons rougeâtres échappés aux vitraux, l'acier des armures
jetait çà et là ses austères reflets...
Il y eut deux ou trois secondes de silence morne, pendant lesquelles une
terreur écrasante pesa sur l'assemblée.
Allait-on voir le spectre soulever ses funèbres voiles?
Puis il se fit un grand mouvement. Les armures sonnèrent dans la nef;
les six chevaliers escaladèrent la balustrade, et les moines quittant leurs
stalles en désordre, s'élancèrent au milieu du choeur.
Cela, parce que le duc de Bretagne, après avoir chancelé comme s'il eût
reçu un coup de masse sur le crâne, était tombé à la renverse sur le
marbre.
On le releva.
Quand il rouvrit les yeux, Hue de Maurever avait disparu; et tout ce que
nous venons de raconter aurait pu passer pour un songe, sans le gantelet
de buffle qui était toujours là, témoin irrécusable du terrible
ajournement.
Par où le faux moine s'était-il enfui?
Chacun se fit cette question, mais nul n'y sut répondre.
Le duc François, livide comme un cadavre, parcourut des yeux sa suite
frémissante.
--Cet homme a menti, messieurs, dit-il, je le jure à la face de
Saint-Michel! Une voix tomba de la voûte et répondit:
--C'est toi qui mens, mon seigneur, je le jure à la face de Dieu! On vit
un objet sombre qui se mouvait dans la galerie conduisant à l'escalier
du clocher. Le sang monta aux yeux de François qui se redressa.
--Cent écus d'or à qui me l'amènera! s'écria-t-il.
Reine sentit son coeur s'arrêter. Personne ne bougea. Le duc repoussa
du pied le gantelet avec fureur. Son regard qui cherchait un aide, tomba
sur Aubry de Kergariou, debout derrière la balustrade.
--Avance ici, toi! commanda-t-il.
Aubry ficha sa bannière dans les degrés qui séparaient la nef du choeur
et franchit la balustrade.
--Mon cousin de Poroët, reprit le duc, m'a dit souvent que tu étais la
meilleure lance de sa compagnie. Veux-tu être chevalier?
--Mon père l'était; je le deviendrai avec l'aide de mon patron, répliqua
Aubry.
--Tu le seras ce soir, si tu m'amènes cet homme mort ou vivant.
Les yeux d'Aubry se tournèrent vers la nef. Il vit Méloir qui souriait
méchamment. Il vit les deux blanches mains de Reine qui se joignaient
sous son voile.
Aubry tira son épée, la baisa et la jeta devant le duc. Après quoi, il
croisa ses bras sur sa poitrine. Le duc recula. Ce coup le frappa presque
aussi violemment que l'accusation même de fratricide. On entendit
glisser entre ses lèvres blêmes ces mots prophétiques:
--Je mourrai abandonné! Mais avant qu'il eût eu le temps de reprendre
la parole, le bruit d'une seconde bannière, fichée dans le bois des
marches, retentit sous la voûte silencieuse.
Méloir franchit la balustrade à son tour.
Il mit un genou en terre devant le duc.
--Mon seigneur, dit-il, celui-là est un enfant; moi je suis un homme; je
poursuivrai le traître Maurever, et je le trouverai, fût-il chez Satan!
--Donc tu seras chevalier! s'écria le duc.
Le soir, en traversant les grèves pour regagner Avranches, le futur
chevalier Méloir avait pour mission de garder le pauvre Aubry qui était
prisonnier d'État.
--Mon cousin, disait-il, nous voilà en partie. Elle t'aime,
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