La deux fois morte | Page 8

Jules Lermina
entendu; d��s maintenant, je puis t'affirmer que je saurai bien soustraire Paul �� cette abominable tristesse.
Nous ��tions dans l'ombre, et je distinguais �� peine la physionomie du vieux Jean. Pourtant je le vis se redresser avec un sursaut de surprise:
--Triste! fit-il. Qui vous a dit que M. Paul f?t triste?
--N'est-ce pas naturel apr��s l'affreux malheur qui l'a frapp��!
--Ah oui!... eh bien non! ce n'est pas ?a, vous n'y ��tes pas, mais du tout. Attendez que je fasse de la lumi��re. Je ne suis pas poltron, ayant ��t�� soldat, mais--ici--je n'aime pas rester dans la nuit.
Je commen?ais �� me demander si le vieillard avait lui-m��me son bon sens et si, en me parlant du cerveau d��traqu�� de son ma?tre, il ne lui attribuait pas sa propre faiblesse d'esprit.
La lampe allum��e, je le regardai: il ��tait tr��s robuste. Les traits jadis grossiers s'��taient affin��s sous la patine de l'age; les yeux ��taient clairs, tr��s droits.
--Voyons, mon brave, lui dis-je avec rondeur, ni toi ni moi ne sommes des enfants, nous savons ce que sont les douleurs humaines et combien elles peuvent troubler les ames les mieux organis��es. Vous menez ici une vie solitaire qui n'est pas faite pour vous ��claircir les id��es. Moi j'arrive la t��te fra?che et l'intellect bien ��quilibr��. Dis-moi ce qui se passe, apr��s quoi j'aviserai.
Jean s'��tait assis en face de moi, sans fa?on, les mains sur les genoux.
--Oui, Monsieur, je vous connais pour un homme de sens, de coeur aussi; sans cela, vous ne seriez pas entr��. Mais il y a ici des choses dont vous ne pouvez pas avoir id��e, et vous n'aurez besogne si ais��e que vous le croyez; ?a ne m'��tonnerait m��me pas que vous repartiez sans l'avoir essay��e.
--Allons donc, Paul est vivant, c'est le principal. Est-il malade, nous le gu��rirons; est-il fou...
--Ne faites donc pas de suppositions, laissez-moi tout vous raconter. Ne m'interrompez pas, j'ai d��j�� assez de peine �� assembler tout ?a dans ma t��te...
Le meilleur moyen d'en finir ��tait de le laisser parler �� sa guise.
Je me tins coi.
Des premiers temps du mariage, il ne m'apprit rien qui me surpr?t. Virginie adorait son mari, dans la saine et profonde acception du mot. Il lui rendait cette affection avec une nuance tr��s accentu��e de domination aimante, absorbante aussi. Ces deux ��tres ��taient l'un pour l'autre tout l'univers. Leur entente ��tait si parfaite, il y avait adaptation si compl��te de leurs deux natures, qu'�� vrai dire--c'��tait le mot de Jean--ils ne faisaient qu'un �� eux deux. L'intimit�� de leurs consciences rendait presque inutile l'emploi des paroles. On les voyait pendant de longues heures se contempler sans dire un mot.
--On aurait dit qu'ils ne parlaient pas, continuait Jean, mais je suis s?r qu'ils causaient; ils s'entendaient en dedans. Bien souvent madame me donnait un ordre qui venait de monsieur, j'en ��tais s?r, et pourtant il ne lui avait rien dit, elle l'entendait penser.
Ce qui ressortait de ces observations, plus subtiles que je ne les eusse attendues d'un ignorant, c'est que Virginie avait abdiqu�� toute volont�� et toute initiative. L'amour avait produit ce ph��nom��ne que son individualit�� s'��tait fondue en celle de Paul.
--Ce que je vais vous dire va vous para?tre dr?le, mais il me semblait qu'elle ne se donnait m��me plus la peine de penser; sa voix n'��tait qu'un souffle, comme s'il lui e?t ��t�� inutile de parler. Bien plus, je dirai qu'elle disparaissait physiquement: oui, quand je la regardais, je me faisais cette id��e qu'elle s'effa?ait, comme ces photographies qu'on a laiss��es au soleil et qui s'en vont.
Bref, sous les circonlocutions un peu phraseuses de ma?tre Jean, il ��tait ��vident que la pauvre Virginie avait ��t�� atteinte d'une maladie d'��puisement, an��mie, phtisie, je ne pouvais pr��ciser. Il me parut que le bon serviteur, de par l'int��r��t qu'il portait �� ses ma?tres, les avait vus sous des couleurs quelque peu fantastiques. Il n'y avait l�� que des faits douloureux, mais parfaitement naturels: peut-��tre la passion de Paul n'avait-elle pas ��t�� assez m��nag��re des forces de la pauvrette.
Le positif, c'est qu'elle ��tait morte, et je m'irritais involontairement de la prolixit�� du bonhomme, alambiquant des incidents trop explicables.
--Enfin, repris-je, avec une impatience mal contenue, la pauvre Virginie d��clina de plus en plus, et Paul eut la douleur de la perdre. Je ne doute pas de l'intensit�� de son d��sespoir...
--Pendant le premier mois, Monsieur, il fut comme assomm��: il passait ses journ��es immobile, ��tendu, les yeux ferm��s, pale comme la morte qu'on avait emport��e...
--Et cet ��tat s'est compliqu�� d'une prostration toujours plus grande, si bien qu'aujourd'hui...
--Mais non, mais non! s'��cria Jean en essayant de m'imposer silence avec de grands gestes, Monsieur ne me laisse pas parler, ��videmment il croit que je veux lui en imposer. Vous supposez que M. Paul est triste, d��sesp��r��, et que c'est pour ?a qu'il ne veut recevoir personne. Vous vous trompez du tout
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