La deux fois morte | Page 6

Jules Lermina
coeur mort. C'��tait ma tache d'ami, et je ne m'y soustrairais pas.

VI
Vous souvenez-vous de la phrase glaciale d'Edgar Poe:
--Comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en face de la morne maison Usher. Je ne sais comment cela se fit, mais, au premier coup d'oeil que je jetai sur elle, une intol��rable tristesse p��n��tra mon ame...
Cette r��miniscence--la maison Usher--m'obs��da pendant toute la route, alors que sous la lourdeur grise de cette soir��e d'automne je suivais, blotti dans la voiture que conduisait un silencieux Solognot, jauni par d'anciennes fi��vres, la route bord��e de mar��cages qui, sur la rive gauche de la Sauldre, conduisait �� la Pierre S��che.
Mon conducteur n'��tait pas de ceux qu'on interroge et dont on qu��te les racontars. C'��tait un de ces non pensants qui r��pugnent �� toute expansion intellectuelle. Il allait droit devant lui, sans regarder de c?t�� ni d'autre, ruminant quelque chose de sa machoire prognathe et lourde.
Cette soci��t�� nulle ne me d��plaisait pas, laissant intacte ma r��verie qui peu �� peu se condensait en somnolence. Pourtant je n'avais pas ferm�� les yeux: entre mes paupi��res mi-closes passait la lande mate et grise o�� parfois ��clatait le reflet d'acier d'une mare, cingl��e d'une lame. Sur la route dure, les roues allaient sans bruit, tandis que le cheval s'��tirait, silhouette macabre.
Je ne pourrais dire que la route me semblat longue, car je n'avais plus aucune notion du temps, non plus que la claire compr��hension des choses. J'��tais pris tout entier dans l'��tau d'une angoisse inanalys��e, mais si serrante que j'en ��tais ��touff��. Et dans la plaine vide et plate, entre les ��tangs, plaques noiratres sur une peau d'un bistre sale, j'allais toujours, sans savoir o��, instinctivement inquiet.
Ce fut alors que le ressouvenir de la maison Usher plus despotiquement s'imposa, quand en face d'une flaque d'eau, plus large de quelques m��tres, �� l'entr��e d'un pont de bois que fermait une grille, l'homme se retourna et, parlant pour la premi��re fois, dit:
--La Pierre S��che.
Je fus ��veill�� en sursaut. Pour un peu, j'aurais demand�� ce que pouvait m'importer la Pierre S��che.
Mais une impression me saisit, bien diff��rente de celle que j'attendais.
De l'autre c?t�� de l'��tang, dans lequel dormaient de longues herbes, oscillant de leurs grappes ainsi que des ��pis murs, se dressait au sommet d'un monticule de quelques pieds, et qui semblait de rocailles et de mosa?ques, une sorte de castel dont une aile se projetait en face de moi, hardiment d��coup��e sur le ciel que rougeoyait le soleil couchant.
A la vision de la morte maison Usher, qui me devait appara?tre, en mes pr��visions attrist��es, comme la face d'un hypocondriaque se substituait un profil ��lanc��, avec je ne sais quel raffinement d'��l��gance. Des vignes folles, �� aigrettes rouges, couraient le long des murs, ayant pour canevas les nervures du lierre accroch�� au silex, broderie de pourpre sur velours vert.
Cette forme s'enveloppait d'une bu��e claire, iris��e, qui estompait les contours et att��nuait les angles.
En ma disposition d'esprit, ce tableautin me ravit, �� la fois inattendu et charmant.
Cependant l'homme restait, attendant que je me d��cidasse �� descendre. Je compris que, son office rempli, il s'��tonnait que je ne lui rendisse pas sa libert��: il n'avait pas �� compter avec mes fantaisies d'imagination. Je sautai sur le sol et lui tendis une pi��ce de monnaie.
--Alors, lui dis-je, ceci est bien le chateau de Pierre S��che?
--Puisque je vous l'ai dit...
--Merci donc. Vous pouvez retourner �� Salbris.
Il me regardait de ses yeux sans couleur: je crus qu'il n'��tait pas satisfait:
--N'est-ce pas le prix convenu? demandai-je.
--Si... mais voici la grille. Il y a une sonnette.
Bon! il estimait que son devoir ��tait de ne m'abandonner que lorsque je serais entr��. Mais justement, dans mes vagues pressentiments d'incidents singuliers, il ne me plaisait pas de le rendre t��moin, peut-��tre, d'une d��convenue.
--Allez, lui dis-je. Ne vous occupez plus de moi.
Alors il se d��cida, le cheval tourna, s'allongea, partit.
Je restai seul en face de la grille. Elle barrait toute la largeur du petit pont dont j'ai parl�� et dont le tablier sans balustrade ne pouvait ��tre atteint du dehors. Au-dessous, l'��tang, immobile et moussu.
Au del��, une all��e gravissait le monticule, puis disparaissait en se contournant.
Les fen��tres--j'en comptais trois--qui faisaient face �� l'��tang ��taient closes. Les ombres des vignes et des lierres noircissaient les vitres; on e?t dit des yeux tr��s noirs voil��s de cils. J'eus la sensation qu'ils me regardaient: mais alors, si quelqu'un de l'int��rieur avait constat�� ma pr��sence, pourquoi nul ne se pr��sentait-il �� la grille?
Je me dis alors que j'��tais bien fou de raisonner et que vraiment je me cr��ais �� loisir des impressions de myst��re, puisqu'il y avait une cloche et une cha?ne. Je donnai une secousse.

VII
Je vis la cloche s'��lever et s'abaisser: elle ��tait d'un assez fort calibre, et un instant je craignis d'avoir sonn�� trop fort, mais elle ne tinta pas. Je r��cidivai, m��me
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