La dame de Monsoreau, vol 3 | Page 3

Alexandre Dumas, père
cheval, ou, pour mieux dire, plus de chevaux. L'idée qu'il avait eue était si bonne, qu'avant de lui venir, à lui, elle était venue à son ennemi, et que son ennemi en avait profité.
M. de Monsoreau, accablé, laissa échapper un rugissement de rage, montrant le poing à ce démon malicieux, qui, bien certainement, riait de lui dans l'ombre déjà épaisse du bois; mais, comme chez lui la volonté n'était pas facilement vaincue, il réagit contre les fatalités successives qui semblaient prendre à tache de l'accabler: en s'orientant à l'instant même, malgré la nuit qui descendait rapidement, il réunit toutes ses forces et regagna Angers par un chemin de traverse qu'il connaissait depuis son enfance.
Deux heures et demie après, il arrivait à la porte de la ville, mourant de soif, de chaleur et de fatigue: mais l'exaltation de la pensée avait donné des forces au corps, et c'était toujours le même homme volontaire et violent à la fois.
D'ailleurs, une idée le soutenait: il interrogerait la sentinelle, ou plut?t les sentinelles; il irait de porte en porte; il saurait par quelle porte un homme était entré avec deux chevaux; il viderait sa bourse, il ferait des promesses d'or, et il conna?trait le signalement de cet homme. Alors, quel qu'il f?t, prochainement ou plus tard, cet homme lui payerait sa dette.
Il interrogea la sentinelle; mais la sentinelle venait d'être placée et ne savait rien. Il entra au corps de garde et s'informa: le milicien qui descendait de garde avait vu, il y avait deux heures à peu près, rentrer un cheval sans ma?tre, qui avait repris tout seul le chemin du palais.
Il avait alors pensé qu'il était arrivé quelque accident au cavalier, et que le cheval intelligent avait regagné seul le logis.
Monsoreau se frappa le front: il était décidé qu'il ne saurait rien.
Alors il s'achemina à son tour vers le chateau ducal.
Là, grande vie, grand bruit, grande joie; les fenêtres resplendissaient comme des soleils, et les cuisines reluisaient comme des fours embrasés, envoyant par leurs soupiraux des parfums de venaison et de girofle capables de faire oublier à l'estomac qu'il est voisin du coeur.
Mais les grilles étaient fermées, et là une difficulté se présenta: il fallait se les faire ouvrir.
Monsoreau appela le concierge et se nomma; mais le concierge ne voulut point le reconna?tre.
--Vous étiez droit, et vous êtes vo?té, lui dit-il.
--C'est la fatigue.
--Vous étiez pale, et vous êtes rouge.
--C'est la chaleur.
--Vous étiez à cheval, et vous rentrez sans cheval.
--C'est que mon cheval a eu peur, a fait un écart, m'a désar?onné et est rentré sans cavalier. N'avez-vous pas vu mon cheval?
--Ah! si fait, dit le concierge.
--En tout cas, allez prévenir le majordome.
Le concierge, enchanté de cette ouverture qui le déchargeait de toute responsabilité, envoya prévenir M. Remy.
M. Remy arriva, et reconnut parfaitement Monsoreau.
--Et d'où venez-vous, mon Dieu! dans un pareil état? lui demanda-t-il.
Monsoreau répéta la même fable qu'il avait déjà faite au concierge.
--En effet, dit le majordome, nous avons été fort inquiets, quand nous avons vu arriver le cheval sans cavalier; monseigneur surtout, que j'avais eu l'honneur de prévenir de votre arrivée.
--Ah! monseigneur a paru inquiet? fit Monsoreau.
--Fort inquiet.
--Et qu'a-t-il dit?
--Qu'on vous introduis?t près de lui aussit?t votre arrivée.
--Bien! le temps de passer à l'écurie seulement, voir s'il n'est rien arrivé au cheval de Son Altesse.
Et Monsoreau passa à l'écurie, et reconnut, à la place où il l'avait pris, l'intelligent animal, qui mangeait en cheval qui sent le besoin de réparer ses forces.
Puis, sans même prendre le soin de changer de costume,--Monsoreau pensait que l'importance de la nouvelle qu'il apportait devait l'emporter sur l'étiquette,--sans même changer, disons-nous, le grand veneur se dirigea vers la salle à manger.
Tous les gentilshommes du prince, et Son Altesse elle-même, réunis autour d'une table magnifiquement servie et splendidement éclairée, attaquaient les patés de faisans, les grillades fra?ches de sanglier et les entremets épicés, qu'ils arrosaient de ce vin noir de Cahors si généreux et si velouté, ou de ce perfide, suave et pétillant vin d'Anjou, dont les fumées s'extravasent dans la tête avant que les topazes qu'il distille dans le verre soient tout à fait épuisées.
--La cour est au grand complet, disait Antraguet, rose comme une jeune fille et déjà ivre comme un vieux re?tre; au complet comme la cave de Votre Altesse.
--Non pas, non pas, dit Ribérac, il nous manque un grand veneur. Il est, en vérité, honteux que nous mangions le d?ner de Son Altesse, et que nous ne le prenions pas nous-mêmes.
--Moi, je vote pour un grand veneur quelconque, dit Livarot; peu importe lequel, f?t-ce M. de Monsoreau.
Le duc sourit, il savait seul l'arrivée du comte.
Livarot achevait à peine sa phrase et le prince son sourire que la porte s'ouvrit et que M. de Monsoreau entra.
Le duc fit, en l'apercevant, une exclamation d'autant plus bruyante, qu'elle retentit au milieu du silence général.
--Eh bien! le
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